Les journalistes ont mauvaise presse depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas. Ils sont biaisés selon plusieurs : pro-Israéliens pour les uns, pro-Palestiniens pour les autres. Le conflit atteint une telle intensité que les messagers en font souvent les frais.
Le choix des mots
Parmi les difficiles questions du public aux journalistes, celle de l’impartialité arrive en haut de la liste.
C’est très difficile
, confie Yanik Dumon Baron. J’ai envoyé un texte à Céline [Galipeau NDLR] pour lui demander de le réviser. On parlait des colonies. Quand on est avec les colons, on comprend. On a de l’empathie pour leur situation, on comprend leur point de vue. Le lendemain, on va voir ceux qui subissent la violence des colons. Certains vont être un peu plus extrêmes et profiter de ce qui se passe à Gaza pour prendre plus de place, ils vont parfois jusqu’à tuer. On rencontre un jeune homme qui a été blessé par des colons… C’est compliqué après de trouver les mots justes. Il faut décrire ce qu’on voit en essayant d’éviter les adjectifs ou les façons de qualifier ça. La position de Radio-Canada sur l’utilisation, ou pas, du mot terrorisme en est un bon exemple
, explique le journaliste.

Mordus de politique. Émission spéciale avec les correspondants qui se sont déplacés pour couvrir le conflit entre Israël et le Hamas.
Photo : Ivanoh Demers
Une vie est une vie
Céline Galipeau a été déployée sur le terrain pendant plusieurs jours. Pour prendre la mesure de l’événement, elle a visionné les images du massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre.
Quand on regarde les images du massacre, c’est vrai qu’on les comprend [les Israéliens]. De la même façon, parce qu’il y a toujours l’autre côté, pour les Palestiniens qui voient leurs proches, leurs familles, les autres Palestiniens à Gaza mourir et que la communauté internationale – parce que c’est comme ça qu’ils le ressentent – ne fait pas cesser ce carnage, parce que quand on parle de 10 000, 11 000 morts, c’est énorme. Donc pour les Palestiniens, il y a comme un [deux] poids, deux mesures qui rend l’amertume encore plus grande. Parce qu’ils ont l’impression qu’une vie palestinienne ne vaut pas une vie israélienne.

Pour les correspondants sur le terrain, il peut être difficile d’interagir avec les gens qui vivent les hostilités.
Photo : Ivanoh Demers
À Jéricho, Yanik Dumont Baron voulait rencontrer de jeunes Palestiniens pour prendre le pouls de la communauté. En quatre, cinq minutes on a compris qu’on n’était pas les bienvenus. Comme étranger, comme Canadien : « votre pays supporte Israël, on ne veut pas vous voir ici »
, raconte-t-il.
Il a ensuite rencontré des Gazaouis qui travaillaient en Israël le 7 octobre, et n’ont pas pu retourner dans la bande de Gaza auprès de leurs familles.
Tous disaient : « On veut retourner à Gaza ». Malgré les bombes, malgré la situation. « C’est ma terre. Ma famille est là, je veux y retourner »
, rapporte le correspondant.
Le fixeur : un guide, un interprète et plus
Il explique avoir rencontré ces Palestiniens grâce à son fixeur c’est-à-dire celui, ou celle, qui fait office de guide et de traducteur. Mais pas seulement. Il est au courant de ce qui se passe. C’est aussi un interprète culturel
, précise Jean-François Bélanger.
Les événements lui ont par ailleurs prouvé qu’un journaliste est au bon endroit lorsque les belligérants ne veulent pas le voir : Si on dérange, c’est parce qu’il y a une histoire à raconter.
Des soldats israéliens l’ont déjà bousculé alors qu’il filmait une famille palestinienne affairée à la récolte des olives sur ses terres en Cisjordanie.

Jean-François Bélanger (à gauche) s’est vu confisquer des cartes mémoire par des soldats israéliens.
Photo : Ivanoh Demers
Les soldats ont saisi la caméra. Ils étaient en colère contre les journalistes, ils considéraient qu’ils étaient tous biaisés, tous contre Israël. On nous reprochait de ne pas parler en permanence des bébés tués le 7 octobre. On expliquait qu’on couvrait les histoires de chaque côté. On raconte aussi l’histoire des Palestiniens qui ne peuvent pas cueillir leurs olives. Cela ne passait pas aux yeux de ce soldat
, raconte le correspondant qui a finalement récupéré sa caméra, mais pas les cartes mémoires. Donc pas d’images.
Les journalistes sont aussi frustrés de ne pas pouvoir circuler dans la bande de Gaza.
L’armée israélienne permet à la presse d’entrer aux abords de l’enclave, à Beit Hanoun, d’où les journalistes peuvent voir une région déserte. On leur montre aussi un des tunnels utilisés par le Hamas.
Chacun sa censure

L’accès au terrain et à l’information est contrôlé autant par les forces israéliennes que le Hamas, relatent nos correspondants.
Photo : Ivanoh Demers
On est aux mains de l’armée israélienne
, dit Céline Galipeau. Et les Palestiniens sont aux mains du Hamas. Le Hamas, c’est tout le monde
, explique Jean-François Bélanger, en ce sens que l’organisation est partout dans la bande de Gaza, ses institutions et ses structures.
Là aussi on contrôle, rapportent les correspondants en évoquant cette Palestinienne critiquant le Hamas devant la caméra et qu’une main a prestement fait taire en se posant sur sa bouche.
On sort du discours politique quand on est sur le terrain. On rencontre les gens qui sont touchés par ça, de tous les côtés. Ça nous aide nous à mieux comprendre pour, après ça, vous l’expliquer. Ce relais-là d’informations est super important, sinon on a les discours de ceux qui ont accès à des micros.
Les correspondants sont près à reprendre l’avion. Ils espèrent entrer dans la bande de Gaza. Sans contrainte, d’un côté comme de l’autre.