Un provocateur hors normes aux portes du pouvoir en Argentine

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À la veille du dernier débat présidentiel, Sergio Massa et Javier Milei sont au coude à coude dans les sondages. C’est l’élection la plus serrée en Argentine depuis des décennies et la plus importante, à bien des égards, qui se jouera le 19 novembre.

Qui est Javier Milei et qu’est-ce qui explique son succès?

Un des deux candidats est un personnage hors du commun, un économiste anarcholibertarien, comme il se définit lui-même, qui divise les Argentins, suscitant autant la crainte que l’espoir.

L’ex-professeur d’économie, âgé de 53 ans, s’est d’abord fait connaître par ses interventions à la télévision, où il dénonçait la caste politique qui s’enrichissait aux dépens de la population. Son style abrasif, son langage vulgaire et son image peu conventionnelle séduisent tout autant qu’elles choquent.

Javier Milei lève le poing.

« Si vous me donnez 20 ans, l’Argentine sera comme l’Allemagne, et si vous m’en donnez 35, nous serons comme les États-Unis », a promis Javier Milei lors du premier débat présidentiel.

Photo : Getty Images / Tomas Cuesta

Élu député en 2021, Javier Milei a pris une place grandissante sur la scène politique argentine, laquelle s’est reflétée aux élections primaires, en août dernier, lorsqu’il a obtenu 30 % des voix, à la tête du parti La libertad avanza (La liberté avance).

Une de ses grandes forces est sa présence sur les médias sociaux, que son équipe manie habilement, et qui lui permet de rejoindre les jeunes électeurs, laissés pour compte par les partis traditionnels et très frappés par le chômage, note Veronica Norando, professeure au Département d’histoire de l’Université Carleton.

Avec son discours rebelle, lorsqu’il dit : « on va tout casser, on va tout brûler », il embrasse la rébellion et touche les jeunes.

Mais il n’y a pas que les jeunes : tous les exclus de la nouvelle économie se sentent interpellés. Le discours de Milei rejoint les employés de plateformes comme Uber ou Rappi [une application de livraisons], mais aussi d’autres personnes qui travaillent dans le secteur informel et n’ont pas l’impression que l’État fait grand-chose pour eux, affirme Diego Reynoso, professeur de sciences politiques à l’Université de San Andrés, à Buenos Aires, en Argentine.

L’économie souffre d’une hyperinflation presque chronique qui fait fondre le pouvoir d’achat des Argentins.

Javier Milei dénonce cette situation à grands cris et propose des solutions radicales, comme l’adoption du dollar américain en tant que monnaie nationale et le démantèlement de la banque centrale.

Celui qu’on surnomme el loco (le fou) tient également un discours libertarien qui trouve un grand écho auprès d’une partie de la population, échaudée par les restrictions imposées pendant la pandémie de COVID-19.

Milei avait déjà une place dans les médias, parce que c’est un type imprévisible et explosif qui fait monter les cotes d’écoute, mais grâce à la pandémie, il a pu commencer à occuper un espace politique dans lequel mettre en pratique ses idées.

Au premier tour de l’élection présidentielle, le 22 octobre, il a obtenu 30 % des voix, arrivant derrière Sergio Massa, ministre de l’Économie du gouvernement sortant, mais devant Patricia Bullrich, du principal parti d’opposition, qu’on donnait pourtant gagnante quelques mois auparavant.

Pourquoi ses propositions font-elles peur?

Pour éradiquer l’inflation, Javier Milei veut réduire la taille de l’État en diminuant le nombre de ministères et de programmes sociaux, démanteler la banque centrale, dollariser l’économie, donner une plus grande place au privé en santé et en éducation, laisser libre cours au marché en éliminant les subventions et flexibiliser les contrats de travail.

Il se promène avec une tronçonneuse pour illustrer les réductions massives qu’il compte entreprendre au sein de l’État.

Javier Milei tient une tronçonneuse dans les mains

On le traite de néofasciste, de misogyne ou d’antiféministe, Javier Milei est avant tout un provocateur qui bouleverse les façons traditionnelles de faire de la politique.

Photo : Getty Images / Tomas Cuesta

Ses propositions controversées génèrent autant l’enthousiasme que la crainte auprès d’un électorat échaudé par des années de gouvernements incapables de redresser la situation.

Son message contre la caste de parasites trouve un grand écho auprès des Argentins qui souffrent de la crise économique. Plus de 40 % d’entre eux se trouvent maintenant sous le seuil de pauvreté.

Bien des gens ne savent pas exactement que Milei veut faire et ne comprennent pas tous les détails économiques, mais ils savent qu’il faut réduire les dépenses excessives de l’État et les privilèges du pouvoir, souligne Belén Amadeo, professeure au Département de science politique de l’Université de Buenos Aires.

Vous avez ce gouvernement, qui est un désastre, et une population qui en a assez de l’inflation, des problèmes économiques, de la faim et de la pauvreté. Milei a su s’approprier tout cela.

Son discours, à la fois simple et fracassant, a touché les gens, ajoute-t-elle.

Ce n’est pas tant ce qu’il dit que la façon dont il le dit qui ont fait son succès, confirme Belén Amadeo, puisqu’il manifeste haut et fort la colère que ressentent beaucoup d’Argentins.

Même s’il avait tenu un discours différent du point de vue idéologique, il aurait probablement eu autant d’impact […] ce qui a compté, c’est la forme beaucoup plus que le contenu.

Mais Javier Milei a également un côté plus obscur, rappelle Diego Reynoso. Il est convaincu que Dieu lui a parlé et lui a donné pour mission d’être président. Il communique avec lui à travers de son chien, mort il y a plusieurs années et qu’il a fait cloner. Ce sont ces clones qui lui transmettent les messages.

Sur son compte Twitter (renommé X), il a traité le pape François de fils de pute qui proclame le communisme à travers le monde et de représentant du malin.

Il s’est également montré ouvert à la vente d’organes et à une libéralisation du port d’armes, en plus de minimiser les atrocités commises par la dictature qui a gouverné l’Argentine entre 1976 et 1983.

Quelle est la stratégie de Sergio Massa?

Sergio Massa

Sergio Massa est ministre de l’Économie dans le gouvernement d’Alberto Fernandez depuis le 3 août 2022. Avocat de formation, il est en politique depuis les années 1990.

Photo : Getty Images / JUAN MABROMATA

L’adversaire de Javier Milei est Sergio Massa, représentant du parti Unión por la patria (Union pour la patrie) qui était le ministre de l’Économie dans le gouvernement sortant. Il est donc le représentant de la continuité et doit défendre son bilan malgré une économie en chute libre.

L’inflation est hors de contrôle et la pauvreté atteint des niveaux rarement vus. Mais Sergio Massa soutient que ce n’était pas lui qui était aux commandes et qu’il fera les choses autrement quand il sera président.

En opposition au personnage impulsif qui se trouve face à lui, Sergio Massa se présente comme un homme très calme. Massa est toujours bien mis et imperturbable; ce qu’il a d’explosif, c’est sa gestion de l’économie, qui est un désastre, observe Belén Amadeo.

Sergio Massa est né dans la politique. Javier Milei est l’exact opposé de ça.

En réponse à l’ascension spectaculaire de Javier Milei, la machine péroniste qui appuie Sergio Massa s’est mise en marche. Il a multiplié les annonces de dépenses publiques, les cadeaux aux contribuables et les distributions de subsides.

Sergio Massa appartient au courant du péronisme, une force politique issue du Parti justicialiste de Juan Domingo Peron. L’ex-présidente Cristina Kirchner fait également partie de ce mouvement, qui a marqué l’histoire de l’Argentine depuis les années 1940.

Il n’hésite pas, non plus, à faire peur aux électeurs, martelant que Javier Milei se propose d’éliminer toutes les subventions, notamment celles pour le transport en commun. On voit maintenant dans les autobus des affichettes qui montrent ce qu’il en coûterait pour un billet si son adversaire devenait président. Le prix pour un trajet serait 10 fois plus élevé.

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À quoi s’attendre au deuxième tour?

Les deux candidats doivent maintenant tenter de séduire les indécis et les électeurs qui avaient voté pour Patricia Bullrich le 22 octobre.

Patricia Bullrich lors d'une conférence de presse à Buenos Aires le 25 octobre 2023

Battue au premier tour, la candidate de Juntos por el cambio, Patricia Bullrich, a donné son appui à Javier Milei.

Photo : Getty Images / TOMAS CUESTA

À l’issue du premier tour, Mme Bullrich a donné son appui à Javier Milei, avec qui elle a conclu une entente. Pendant la campagne, elle avait pourtant déposé une plainte en justice contre lui pour injures, intimidation publique et incitation à la haine.

Tous ses électeurs ne suivront pas nécessairement sa consigne, cependant. Plusieurs pourraient annuler leur vote ou de voter blanc plutôt que de se prononcer pour MM. Massa ou Milei, estime Belén Amadeo.

Ils doivent choisir entre un représentant du péronisme, l’ennemi historique de leur parti, et un homme qu’on ne connaît pas, qui est explosif, qui dit des choses épouvantables, qui n’a pas de jugement et qui ne saura pas résister à la pression du pouvoir. 

L’affrontement de dimanche sera clé pour convaincre les indécis. L’élection est très serrée, remarque Diego Reynoso. Celui qui l’emportera n’aura que 2 % ou 3 % de plus que son adversaire. Le débat sera crucial.

Javier Milei réussira-t-il à se montrer présidentiable ou va-t-il perdre le contrôle et effrayer d’éventuels électeurs?

Ultimement, c’est la peur qui va mobiliser un grand nombre d’Argentins, soulignent les analystes. Ce sera un vote pour que celui qu’on n’aime pas ne gagne pas, estime Veronica Norando.

Soit on se lance dans l’inconnu pour mettre fin à une situation que l’on n’aime pas, soit on reste avec ce que l’on n’aime pas pour éviter quelque chose qui pourrait être pire.

C’est la peur du fou à la tronçonneuse ou la peur de s’enfoncer à tout jamais dans le marasme, résume Belén Amadeo.

Avec les informations de Reuters, Associated Press et Clarin

Source :Radio Canada

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