
Au début de la grande invasion, la ville a vu les soldats russes de très près. La cité et ses 260 000 habitants se trouvaient sur le chemin des troupes en route vers Kiev et Kharkiv.
Mais Soumy ne s’est pas soumise et le siège russe ne l’a pas brisée. Les envahisseurs ont été chassés en avril. Les grands combats ont eu lieu ailleurs, autour de villes plus importantes.
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien à rebâtir ici, au contraire. Les dirigeants ont une liste de besoins et espèrent l’aide du Canada. Dès maintenant.
L’an dernier, Ottawa s’est engagé à soutenir les efforts de reconstruction dans tout l’oblast (la région) de Soumy, dont la ville de Soumy est la capitale.
En entrevue, le maire énumère quelques priorités. La plus pressante est la remise en état de l’une des deux centrales thermiques qui chauffent des foyers de la ville.
On l’a réparée du mieux qu’on a pu, explique le maire Oleksandr Lysenko, mais tout peut briser à n’importe quel moment.
Surtout si le prochain hiver est plus rude que celui qui se termine.
Il avoue que le système répondait à peine aux besoins lorsque le mercure descendait sous les -15 degrés Celsius. On n’en parle pas, mais des gens ont quitté le secteur. Tout était presque gelé.
Le maire ne sait pas combien tout cela coûtera. De son côté, la Banque mondiale juge que plus de 560 milliards de dollars canadiens seront nécessaires pour rebâtir l’ensemble du pays.
Des grands besoins comptabilisés
Les ordinateurs de l’administration de la région de Soumy ne contiennent pas non plus d’estimation de la facture totale, mais ils détiennent une liste mise à jour quotidiennement
des besoins.
Taras Savchenko, le militaire responsable d’administrer la région durant le conflit, détaille les dégâts : près de 5000 structures physiques (immeubles, écoles) touchées, 16 ponts détruits et plus de 1500 kilomètres de routes endommagées à divers degrés.
Une bonne partie a déjà été réparée. Avant l’hiver, des centaines de fenêtres avaient même été remplacées en prévision du froid, une facture en grande partie assumée par l’État ukrainien.
Nous réparons d’abord ce qui est le plus important pour soutenir la vie
, explique Taras Savchenko. L’électricité et le chauffage d’abord, les ponts et les demeures ensuite.
Quelques petites villes auront cependant besoin de beaucoup d’attention, des endroits comme Okhtyrka, considérée aujourd’hui comme une ville héroïne
.
L’agglomération de 46 000 habitants (avant la guerre) a été en partie démolie par l’artillerie russe. Sa résistance aurait contribué à freiner l’assaut sur de plus grandes villes.
Leurs troupes d’élite
étaient non loin, rappelle Taras Savchenko. Okhtyrka n’a jamais été occupée.
Mais elle a subi la furie des bombes russes. Et là, les besoins sont grands.
L’hôpital de la ville a été très fortement endommagé
, explique-t-il. C’est l’un des endroits où le Canada pourrait rapidement aider. C’est important pour la communauté.
Important, aussi, de réparer la gare, la centrale thermique, l’édifice municipal, le centre culturel… et des dizaines de demeures défoncées par les explosions.
Y’en a pour 100 ans!
Les responsables régionaux ont aussi un autre grand problème sur les bras. Des milliers de mines antipersonnel russes et ukrainiennes cachées dans le sol, un peu partout.
Il y en a bien sûr beaucoup le long des 564 kilomètres de la frontière russe, en plus des centaines d’engins répartis un peu partout sur le territoire. Des explosifs qu’il faut enlever un à un, à la main.
Il y en a pour 100 ans!
, lance Oleksandr, un des démineurs des Services d’urgence de l’Ukraine. Il y en a partout. L’herbe a poussé, des fragments de bombes sont tombés. Le détecteur de métal sonne tout le temps!
Cet ancien tireur d’élite est souvent sollicité par des gens qui lui signalent de nouveaux lieux à inspecter. On met un ruban et un panneau qui dit « mines ».
Une équipe reviendra plus tard. Il faut prioriser.
À l’exception d’un petit drapeau jaune et bleu sur sa poitrine, Oleksandr est tout vêtu de noir au pied de cet édifice sans fenêtres. Du casque aux bottes en passant par les gants, tout est fait pour le protéger en cas d’explosion.
Il ajuste ses gants, teste son détecteur de métaux. On a besoin d’équipement
, lance ce grand barbu. Selon lui, la plupart des vestes à la disposition des démineurs sont de la même taille. Pas vraiment adaptées aux besoins.
Le déminage fait partie des priorités déjà identifiées par le Canada. Beaucoup d’équipement et des dizaines de millions de dollars ont déjà été offerts à l’Ukraine, mais beaucoup reste à faire.
C’est un gros problème, on aura besoin d’aide
, lance le responsable militaire, Taras Savchenko. On a besoin de technologie, de matériel et de gens.
Encore là, des millions de dollars.
Le responsable militaire espère aussi recevoir de l’appui dans le domaine nucléaire. Dans sa région, des chercheurs planchent sur un projet de réacteur compact, un domaine où des Canadiens sont aussi actifs.
Pour ce projet aussi, il espère obtenir de l’argent et l’assistance technique canadienne. Ces souhaits semblent bien éloignés des besoins urgents d’un pays en guerre. Et pourtant…
Taras Savchenko croit que c’est précisément à ce genre de projet que tient l’avenir de sa région, de son pays. Il en parle comme d’un signal que la reprise y a été pensée, planifiée.
Après la victoire
, lance-t-il avec conviction, notre région aura un avenir.
Notre envoyé spécial Yanik Dumont Baron était en Ukraine du 4 février au 2 mars