
C’était dans les années 1960, alors qu’elle était une petite fille. Et jusque dans les années 1980, il était encore possible de se faire servir en français dans plusieurs commerces, se souvient Kim Chase.
Winooski est à un jet de pierre de Burlington, et la ville était même connue sous le nom de Petit Canada
à une époque, tant le français y prenait une place importante.
Encore aujourd’hui, plusieurs noms de rues et de commerces rappellent cet héritage.
Moi, j’ai élevé mes enfants à Burlington. Et même là, j’avais des voisins qui parlaient français. J’ai toujours trouvé des gens qui parlaient le français
, explique Kim Chase. C’était d’ailleurs important pour elle que ses enfants maîtrisent cette langue.
Aujourd’hui retraitée, après des années à enseigner, elle a notamment contribué à conserver la culture franco-vermontoise en enregistrant des chansons traditionnelles.
Les chansons sont importantes, parce que c’est comme ça que les enfants apprennent la langue, avec des comptines, par exemple, des histoires et des chansons
, dit-elle. Elle se rappelle que des disques jouaient constamment chez elle quand elle était petite et que sa mère chantait aussi.
Kim Chase fait partie des nombreux francophones de l’État aux montagnes vertes. Ils représentent environ 2 % de la population du Vermont, où le français est la deuxième langue parlée.
Selon Kim Chase, si de nombreuses personnes au Vermont peuvent parler français, elles évitent cependant de le faire en public. D’habitude, on le cache, on n’ose pas parler français, parce qu’ils ont peur de faire des fautes
, explique-t-elle.
Se réapproprier son héritage
Si la langue s’est parfois transmise d’une génération à une autre, pour d’autres, il a fallu réapprendre un français qui s’était perdu.
C’est le cas de Dana Baron. Le président de l’Alliance française de la région du lac Champlain a appris le français pour renouer avec ses ancêtres. Son grand-père, venu du Québec, s’était établi au New Hampshire pour travailler dans des usines. Son père a perdu
la langue, et c’est ce qui a amené Dana Baron à vouloir apprendre le français.
Pour moi, c’est important de connecter avec mon héritage
, dit-il.
L’Alliance française est l’une des seules organisations au Vermont qui organisent des rencontres entre francophones et qui offrent des cours. C’est toujours difficile de garder la langue, explique Dana Baron, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’occasions de pratiquer.
Comédienne et écrivaine, Abby Paige, elle, a choisi d’explorer sa relation avec le français au théâtre. Elle a écrit deux pièces qui portent sur le français, dont sa plus récente, Les filles du quoi, bilingue, qui porte entre autres sur sa relation avec la langue et la francophonie.
Je ne voulais pas apprendre le français au début, parce qu’il y avait trop de pression. Ma grand-mère parlait le français, mais personne d’autre dans ma famille
, dit-elle. Elle a d’abord fait un détour par l’espagnol avant de revenir à la langue de Molière.
C’est à la fois son histoire de famille et l’amour qui l’auront amenée à apprendre le français. Son conjoint, Dan, habitait à Montréal à l’époque. Je me disais que si je devais passer beaucoup de temps à Montréal, je devrais apprendre le français.
Le couple a vécu à Ottawa, au Nouveau-Brunswick, avant de s’établir à Burlington. Leur fils, Robertson, parle bien le français, mais le couple note que depuis qu’ils sont au Vermont, ils l’utilisent moins à la maison. Sans compter que livres et films sont plus difficiles d’accès.
Ici, le bilinguisme, c’est un projet personnel
, fait remarquer Abby Paige, il n’y a pas de protection officielle.
Et apprendre le français, pour certains Vermontois, s’avère difficile. Je me souviens comment ma grand-mère parlait, dit-elle, et je sais que je ne parle pas comme elle. Je dis que mon français est fait à la main, d’écouter Tout le monde en parle, et avec un cours ici et là.
Comment se sent-elle d’être la première à parler français depuis deux générations? Abby Paige devient pensive pendant un moment. La pièce de théâtre parle de ça : le désir de faire une connexion avec les ancêtres
, explique-t-elle. C’est ma question : est-ce que je parle assez bien (français) pour que mon arrière-grand-mère me reconnaîtrait? Je crois que oui.
L’immigration francophone vouée à l’anglicisation?
Le nombre de personnes qui parlent français au Vermont est maintenant dopé par la venue récente d’immigrants provenant de l’Afrique de l’Ouest ou du Congo. C’est notamment le cas de Coco Ngoy, qui habite au Vermont depuis plus de 10 ans.
Venu pour une vie meilleure, à l’image des Canadiens français cent ans plus tôt, il a d’abord envisagé le Canada avant de tenter sa chance au sud de la frontière. Mais le Vermont n’est plus celui d’alors, et l’anglais s’est imposé à lui pour travailler et s’intégrer.
C’est ça, le problème, avec l’Amérique. Ils s’en foutent du français, ici. Donc quand vous venez ici et que vous parlez français, ils s’en foutent.
Aussi, même si le français est sa langue maternelle, il l’utilise peu au quotidien.
Parce que vous allez l’utiliser où? Dans tous les commerces, dans tous les bureaux, il n’y a que l’anglais qui se parle
, explique Coco Ngoy. C’est surtout avec d’autres immigrants africains qu’il l’utilise.
Mon fils, quand on est arrivés, il avait deux ans, il parlait français correctement, mais là, il a tout perdu. Parce qu’il passe tout son temps dehors avec les anglophones
, explique le père de famille. L’autre alternative, c’est de les amener à tout moment soit au Canada, soit en France pour qu’ils perfectionnent leur langue, mais ça nous coûte aussi de l’argent. On ne sait pas comment s’en sortir.
Avec sa petite famille, il allait régulièrement au Québec, par le passé, pour quelques jours, mais la COVID a eu raison de ces voyages.
L’idée que ses enfants ne maîtrisent pas le français lui fait trop mal
. Avec l’horaire du travail et de l’école, il dit manquer de temps pour échanger avec ses enfants et qu’ils puissent pratiquer. Parfois, quand je leur parle, je leur parle en français. Ils peuvent comprendre, mais ils ne seront pas en mesure de parler. Parce que la langue est une richesse. Mais là, maintenant, ils sont obligés de ne parler qu’une seule langue. C’est la réalité.
Le président de l’Alliance française, Dana Baron, se dit malgré tout confiant pour l’avenir du français au Vermont. Il note qu’il y a des efforts pour offrir des cours en français dans certaines écoles. Il n’y a pas beaucoup d’argent pour ce type de cours, mais il y a pas mal de gens qui veulent que les écoles enseignent le français. Je crois que ça va fonctionner
, dit-il. Mais entre-temps, on croise les doigts.
Pour être franc, ça nous manque, le français, admet Coco Ngoy. Ça nous manque beaucoup.