La déesse chinoise des mers, vénérée à Taïwan, est devenue un outil pour conquérir la petite île. La Chine fait de la propagande sur la prise de contrôle de l’île dans les temples taïwanais et tente aussi de convaincre les fidèles taïwanais qui se rendent en pèlerinage en Chine. De nombreux Taïwanais dénoncent l’utilisation de la déesse Mazu comme outil politique.
Pour comprendre l’adoration à Taïwan pour la déesse des mers, il suffit de se rendre aux célébrations qu’on lui dédie. En septembre dernier, la fête d’un des temples vénérant Mazu a duré toute une fin de semaine.
Une longue procession colorée et des milliers de participants dans les rues de Miaoli, située à deux heures de route de Taipei, ont offert de la nourriture à la déesse et allumé de nombreux pétards dans une ambiance carnavalesque.
Les festivités dédiées à la déesse des marins et celle qui protège Taïwan sont sans égal. Les fidèles viennent de partout pour la vénérer.
Un couple rencontré dans les rues près du temple expliquait avoir quitté le domicile familial de Taipei à cinq heures du matin pour participer aux célébrations et avoir de bonnes places.
La déesse est si populaire que de nombreux Taïwanais se rendent aussi en pèlerinage chaque année à Meizhou, en Chine, lieu d’origine de Mazu. Ce déplacement ouvre la porte aux tentatives de persuasion politique chinoises. Sur place, de grandes banderoles et de la propagande clamant la gloire de la mère patrie et de la grande famille chinoise les accueillent.

La déesse Mazu, la déesse chinoise des mers, est vénérée à Taïwan.
Photo : Radio-Canada / Afore Hsieh
Réutilisation politique
C’est moins cher d’acheter la volonté des Taïwanais que de déclencher une guerre
, affirme Hung Chin-Fu, professeur de sciences politiques à l’université Cheng Kung.
C’est dangereux, car des Taïwanais peuvent se faire subtilement convaincre que la Chine prendra Taïwan et ils n’opposeront pas de résistance.
L’expert rappelle que le Parti communiste chinois a publié en septembre un document appelant à renforcer les liens économiques entre Taïwan et la province de Fujian, en Chine, comme outil de conquête et d’intégration de l’île.
Le gouvernement de Taïwan, en revanche, appelle les groupes religieux de l’île à combattre la désinformation provenant de Chine, désinformation politique et aussi sur la prise de contrôle de l’île démocratique. Ces fausses informations, selon le gouvernement taïwanais, sont véhiculées dans les temples à l’approche des élections présidentielles de janvier prochain.

Un des endroits ciblés par la Chine est l’archipel Kinmen, territoire taïwanais situé à moins de huit kilomètres de Xiamen, en Chine. La proximité se reflète dans la perception flatteuse de la Chine qu’ont de nombreux résidents. Les îles Kinmen sont par ailleurs un des centres névralgiques pour les échanges religieux et les pèlerinages traversant le détroit de Taïwan.
La plus grande statue de l’archipel est d’ailleurs un don de la Chine en 2006. Un cadeau apprécié des résidents.
La politique n’a aucun lien avec la religion
, rétorque Hsieh Jung-Fang, dirigeant du temple situé tout près de la statue chinoise, à Kinmen. Je suis allé en Chine en 2016 et 2020 pour des pèlerinages. Là-bas, j’ai vu à la télé des messages disant que la Chine voulait unifier Taïwan et le continent, mais je n’en ai rien pensé. Je n’étais pas là pour la politique.
Craintes sur le financement des temples
La question du financement occulte de temples par la Chine, jamais prouvé officiellement, soulève des craintes et des questions à Taïwan.

Des rumeurs circulent sur le financement de temples taïwanais dédiés à la déesse Mazu par la Chine.
Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc
On entend parfois dire que les temples qui ont une relation étroite avec la Chine reçoivent de l’aide financière d’associations chinoises qui sont évidemment proches du Parti communiste
, affirme le politologue Hung Chin-Fu. Par exemple, on entend que des fidèles taïwanais peuvent aller en pèlerinage en Chine presque toutes dépenses payées. Ils n’ont que le vol pour s’y rendre à payer.
Un de ces temples dédiés à Mazu et aux liens étroits avec la Chine est celui de Chiayi. Le dirigeant He Ta-Huang nie avoir reçu de l’aide financière. Il soutient que ces rumeurs reviennent avant chaque élection, mais il croit que Taïwan est bien une province chinoise.
Nous avons les mêmes ancêtres et la même langue
, explique-t-il.
Nous voulons tous la paix et la prospérité dans le détroit de Taïwan. Quand nous allons en pèlerinage en Chine, le gouvernement là-bas ne fait pas d’ingérence du tout. Ils savent que c’est juste un voyage à vocation religieuse.
En septembre, dans les festivités de Miaoli dédiées à la déesse Mazu, il n’était pas question de politique. Le temple qui organisait les célébrations a déjà organisé des voyages en Chine, mais plus maintenant.
Les dirigeants du temple, comme Lin Hsing-Fu, expliquent qu’ils mettent plutôt l’accent sur la communauté locale, celle que Mazu est censée protéger de tout danger, selon eux.
À l’approche des élections présidentielles de janvier à Taïwan, la vigilance et la prudence seront de mise.