
Pour la première fois, Pêches et Océans Canada a procédé à l’installation d’émetteurs sur des requins blancs dans le golfe du Saint-Laurent pour en apprendre davantage sur leurs déplacements et leurs interactions avec les phoques gris.
À la fin du mois d’août, une équipe de l’Institut Maurice-Lamontagne, appuyée par des scientifiques des Maritimes, a réussi à loger des dispositifs satellites et acoustiques sur le dos de neuf requins blancs au large des îles de la Madeleine, soit près de l’île Brion et d’un îlot rocheux appelé Corps-Mort.
Les énormes poissons ont été appâtés assez près d’un bateau pour permettre aux scientifiques d’insérer, à l’aide d’une perche, des émetteurs sous leur peau, près de la nageoire dorsale.
Depuis 2017, Pêches et Océans Canada avait seulement réussi à marquer trois requins blancs, au large de la Nouvelle-Écosse.
C’était une première dans le golfe et en eaux québécoises, c’est quelque chose dont on est très fiers. C’est une grande réussite scientifique et collective. Déployer neuf émetteurs en trois jours a surpassé, de loin, toutes nos attentes et espérances.
M. Bordeleau attribue notamment le succès de l’opération de marquage à la collaboration avec les pêcheurs et chasseurs de phoques madelinots. Ces derniers ont eux-mêmes observé des requins blancs en mer au cours des dernières années et ont partagé leurs connaissances du terrain avec les scientifiques.

Des scientifiques du Québec et des Maritimes ont pris part à l’opération de marquage des requins. De gauche à droite, Samuel Mongrain (MPO-Québec), Ghislain Cyr (pêcheur et chasseur de phoque madelinot), Hassen Allegue (MPO-Québec), Heather Bowlby (MPO-Maritimes), Warren Joyce (MPO-Maritimes), Rodrigue Dubé (pêcheur et chasseur de phoque madelinot) et Xavier Bordeleau (MPO-Québec).
Photo : Groupes de recherche de Pêches et Océans Canada sur les phoques et les requins du Québec et des Maritimes
Des objectifs de recherche multiples
Les données acoustiques et satellitaires qui pourront être recueillies grâce aux dispositifs installés sur les requins permettront d’abord de mieux comprendre les déplacements des imposants poissons dans le golfe du Saint-Laurent.
On veut définir l’habitat essentiel de l’espèce, comme c’est une espèce en voie de disparition au Canada
, explique Xavier Bordeleau. Notre effort visait à combler un manque d’infrastructures dans le golfe. Le marquage satellite va nous informer sur les trajectoires de migration des requins.
Les dispositifs satellitaires resteront sur les requins durant un an, après quoi un processus de corrosion va permettre à l’émetteur de se détacher du corps de l’animal et de retourner à la surface. Les données pourront alors être récoltées par satellite.
Parallèlement, des récepteurs acoustiques ont également été fixés sur le dos de 14 phoques gris à la fin du mois de juin. Il s’agit d’une innovation récente dans le programme canadien de télémétrie acoustique visant à mieux comprendre le comportement des requins et leurs interactions avec les phoques gris.

Des phoques gris, proies de prédilection des requins blancs adultes, sont également munis de récepteurs acoustiques et de dispositifs satellites. (Photo d’archives)
Photo : Gracieuseté : Institut Maurice-Lamontagne – Pêches et Océans Canada
Les hydrophones logés sur les phoques vont capter les sons émis par les dispositifs acoustiques des requins se trouvant à proximité.
On s’intéresse à la relation entre le requin blanc et le phoque gris et le rôle écosystémique des grands prédateurs comme le requin blanc, qui peut potentiellement maintenir certaines populations qui n’avaient jusqu’ici pas de prédateurs, comme le phoque gris.
Le chercheur spécialisé dans l’écologie des pinnipèdes et relations proies-prédateurs explique que les données acoustiques et satellitaires pourront également permettre de mieux comprendre le comportement des phoques qui entre en contact avec les requins.
On sera en mesure de savoir, au moment des interactions, s’il y a tentatives de fuites des phoques, s’ils vont tenter de sortir de l’eau, s’ils vont cesser de s’alimenter
, affirme M. Bordeleau. On pourra également savoir s’il y a des déplacements des phoques gris vers des zones où il y aurait potentiellement moins de requins.
47 requins blancs détectés dans le golfe
Les données issues des récents marquages de requins blancs et de phoques gris seront partagées avec le consortium d’experts nord-américains appelé le New England White Shark Research Consortium.
Ça offre énormément de potentiel pour notre programme de recherche à Pêches et Océans Canada pour les prochaines années
, affirme Xavier Bordeleau.
Jusqu’à présent, c’était principalement les scientifiques américains qui étaient parvenus à apposer des émetteurs satellites et acoustiques sur les requins blancs, principalement dans la région des Cape Cod. Depuis 2011, environ 250 spécimens ont été marqués.

En 2022, 47 requins blancs munis d’émetteurs acoustiques ont fréquenté les eaux du golfe du Saint-Laurent. (Photo d’archives)
Photo : iStock
À partir de 2021, Pêches et Océans Canada a commencé à installer des hydrophones dans le golfe du Saint-Laurent pour détecter la présence de ces requins, notamment à proximité des échoueries de phoques gris.
En 2022, les efforts de recherche canadiens et américains ont permis de dénombrer 47 requins blancs munis d’émetteurs ayant fréquenté les eaux du golfe du Saint-Laurent.
C’est vraiment une collaboration fructueuse, parce que les scientifiques américains veulent savoir jusqu’où vont les requins qu’ils marquent. Ça en dit plus sur le potentiel retour du requin blanc dans le golfe et les impacts potentiels sur les populations de phoque gris.
Selon Xavier Bordeleau, il est encore trop tôt pour affirmer scientifiquement que le requin blanc est bel et bien plus présent qu’auparavant dans le golfe du Saint-Laurent.
On voit beaucoup d’indices qui pourraient confirmer cette hypothèse, notamment avec les changements climatiques et la présence de phoques gris qui a beaucoup augmenté dans le golfe et qui est une source de nourriture pour le requin blanc, mais de là à affirmer qu’il y a un consensus scientifique sur la question, on n’en est vraiment pas là
, croit le scientifique.

Le chercheur Xavier Bordeleau est spécialisé dans l’écologie des pinnipèdes et relations proies-prédateurs. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Shanelle Guérin
M. Bordeleau note que les avancées technologiques ont permis de mieux suivre et détecter les requins blancs dans le golfe du Saint-Laurent ces dernières années, mais que cela ne veut pas nécessairement dire que l’espèce ne fréquentait pas l’endroit auparavant.