

Victor Ho est l’ancien rédacteur en chef de l’édition vancouvéroise du Sing Tao Daily.
Photo : ( provided by Victor Ho)
RCI : Pékin contrôle-t-il entièrement les médias sino-canadiens?
Dans son livre Beijing’s Global Media Offensive, paru ce mois-ci, Joshua Kurlantzick, agrégé supérieur du Council on Foreign Relations, conclut qu’aux États-Unis […] des propriétaires favorables à Pékin ont pris le contrôle de presque tous les médias de langue chinoise […]. Une situation similaire existe maintenant au Canada (comme en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans la plupart des autres grandes démocraties) […]
.
M. Ho réfléchit un moment, puis dit :
Je ne peux trouver aucun exemple pour réfuter cette conclusion. Je ne vois aucun média ou média social de langue chinoise, au Canada – à quelques rares exceptions près – qui soit indépendant et libre de l’influence de Pékin. Qui ose s’opposer au Parti communiste chinois (PCC) et s’éloigner du discours officiel de Pékin? Les organes de presse ont été récupérés par Pékin ou s’autocensurent de façon très stricte.
La censure de Pékin est stricte
Les récents rapports d’enquête en français et en anglais sur l’ingérence et l’infiltration chinoises au Canada brillent par leur absence dans les médias et les réseaux sociaux de langue chinoise. Les médias qui en parlent critiquent plutôt le racisme
de la société canadienne.
M. Ho note que les opérations d’influence de Pékin se complexifient à mesure que son contrôle s’étend des médias traditionnels aux médias numériques et sociaux.
En effet, la plupart des lecteurs chinois au Canada lisent les nouvelles sur WeChat, la plus grande plateforme de médias sociaux de Chine, où tout le contenu est censuré par l’administration du cyberespace du pays et leurs censeurs de l’Internet. Il est impossible de publier un article contenant des mots-clés sensibles, et encore moins de critiquer Pékin.
Autre vétéran des médias, dont le nom de famille a été modifié pour protéger son identité, M. Cheung a déclaré à Non seulement WeChat interdit de dire « À bas Xi Jinping », mais aussi « Longue vie à Xi Jinping »; c’est vous dire à quel point la censure de Pékin est stricte
.
RCI : De quelle façon le
PCC contrôle-t-il les médias chinois à l’étranger?Journaliste d’expérience, rédacteur en chef et universitaire originaire de Hong Kong, M. Ho a travaillé à Yazhou Zhoukan, un magazine apparenté à Asiaweek, et à l’Université chinoise de Hong Kong à partir des années 1980. Au cours des quelque 13 années qui ont précédé sa retraite, M. Ho a été rédacteur en chef de l’édition vancouvéroise du Sing Tao Daily, l’un des plus grands journaux de langue chinoise au Canada.
Il a expliqué à
RCI plusieurs méthodes employées par Pékin pour contrôler les médias chinois à l’étranger. La tactique la plus efficace consiste à cibler les propriétaires des médias traditionnels privés qui ont une grande influence au sein de la communauté chinoise, notamment plusieurs journaux et stations de radio bien établis.Aux propriétaires de médias ayant des activités en Chine, ou qui projettent d’y étendre leurs activités, le
PCC fait des offres lucratives dans le but de les faire rentrer dans les rangs. Le parti connaît bien ces gens. Il commence par les dissuader de critiquer Pékin avant de leur demander carrément de louanger le parti.Une autre approche consiste à placer une personne favorable à Pékin dans un poste de direction, ou tout simplement à remplacer le propriétaire par du personnel en rachetant les actions de l’entreprise. De cette manière, le média devient le porte-voix du parti.
La même approche est utilisée pour récupérer les journaux communautaires sino-canadiens de moindre importance, ce qui est souvent plus facile à réaliser.
La troisième voie consiste à créer et à gérer des médias d’État au Canada. L’agence de presse nationale chinoise Xinhua, par exemple, possède des bureaux à Toronto, à Vancouver et à Ottawa. Les chaînes China Central Television (CCTV) et China Global Télévision Network (CGTN) sont déjà établies au Canada, de même que China News Service (CNS) et d’autres. Les médias canadiens de langue chinoise n’ont pas d’équivalent en matière d’échelle et de portée.
Il existe également des organisations médiatiques ouvertement privées, créées par des voix favorables à Pékin, qui servent de satellites aux médias de l’État chinois.
M. Ho observe que la Chine a toujours limité les activités des journalistes occidentaux dans le pays. Par exemple, Radio-Canada a été contrainte de fermer son bureau (nouvelle fenêtre) d’information établi depuis fort longtemps à Pékin après que les autorités aient ignoré les demandes de visa de travail à son unique correspondant (nouvelle fenêtre) sur place.
M. Cheung ajoute que la Biennale sur les médias mondiaux de langue chinoise est organisée par leçons
sur la façon de raconter une histoire positive sur la Chine
.
La précédente Biennale, la dixième du genre, a été organisée conjointement par
CNS et le Bureau des affaires chinoises d’outre-mer (OCAO) du conseil d’État, en 2019, juste avant la pandémie. Selon certaines informations, 400 organisations de médias de langue chinoise provenant de plus de 50 pays ont participé à l’événement.Pour contrer la dénonciation par les pays occidentaux [dont le Canada] des violations des droits de la personne commises par la Chine au Xinjiang, l’
OCAO a organisé une tournée dans cette province en août dernier pour les journalistes canadiens de langue chinoise.RCI : De quelle façon les médias chinois appliquent-ils l’autocensure?
M. Ho se souvient d’avoir reçu, à l’occasion, des rappels
de son patron lorsqu’il était rédacteur en chef du Sing Tao Daily. Même ses collègues lui ont fait des rappels ou lui ont exprimé leurs inquiétudes sur les sujets sensibles qu’il traitait, comme les manifestations de la place Tiananmen.
Ces dernières années, les médias chinois du Canada ont été le théâtre de plusieurs cas d’autocensure.
En mai 2020, le Sing Tao Canada a publié un commentaire d’une page pleine soutenant l’application de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong. Or, il appert qu’au même moment, le journal refusait de publier une publicité payée critiquant cette loi.
Des activistes chinois nous ont dit que les journaux de langue chinoise ont cessé de publier des annonces critiquant Pékin depuis longtemps.
Deux DJ en poste depuis longtemps et licenciés par Fairchild Radio en 2019 et 2020 estiment qu’ils ont été punis pour avoir exprimé leur soutien aux protestataires de Hong Kong en 2019 et pour avoir confronté des personnalités pro-Pékin dans leurs émissions.
En 2018, dans une autre affaire très médiatisée, un ancien rédacteur en chef de la Global Chinese Press de Vancouver a poursuivi son patron devant le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique pour l’avoir licencié après qu’il eut tenté de publier l’avis de décès d’un dissident chinois et lauréat du prix Nobel de la paix, Liu Xiaobo.
Depuis, Sing Tao, Fairchild Radio et Global Chinese Press ont tous démenti les allégations d’autocensure sous la pression de Pékin.
Quoi qu’il en soit, ces licenciements ont indéniablement eu un effet dissuasif sur les autres journalistes.
RCI : Que devrait faire le Canada?
M. Ho estime qu’Ottawa a négligé, pendant des années, la gravité de l’ingérence et de l’infiltration chinoises et qu’il n’a réagi qu’après que des informations du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont été divulguées dans la presse.
D’après lui, Ottawa peut en faire beaucoup plus. Il cite l’Australie comme exemple.
Canberra a, notamment, adopté ces dernières années des lois sur l’ingérence étrangère et une loi visant à accroître la transparence sur l’influence étrangère, la Foreign Influence Transparency Scheme Act.
Le Canada doit suivre cet exemple. Sinon, il risque d’accroître sa vulnérabilité à l’ingérence politique du
PCC.Note : cette analyse est également disponible en chinois traditionnel, en chinois simplifié et en anglais