Meurtre d’un militant sikh : le Canada est-il trop mou envers les extrémistes?

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Depuis des années, le gouvernement indien accuse Ottawa de fermer les yeux sur les activités de nationalistes sikhs radicaux. Qu’en est-il vraiment? Le Canada est-il trop laxiste?

Hardeep Singh Nijjar, président d’un temple sikh de Surrey, en banlieue de Vancouver, a été assassiné en juin dernier. Lundi, Justin Trudeau a déclaré que le Canada soupçonne l’Inde d’avoir commandité son assassinat, ce que New Delhi a aussitôt réfuté.

Militant pour la création d’un État sikh indépendant, le Khalistan, M. Nijjar était considéré comme un terroriste par la National Investigation Agency, une agence du gouvernement indien qui se consacre à la lutte contre le terrorisme.

Des allégations qu’il niait, selon l’Organisation mondiale des sikhs du Canada, un organisme à but non lucratif qui affirme défendre les intérêts des sikhs canadiens.

M. Nijjar était actif dans l’organisation au Canada de référendums non officiels sur la création du Khalistan, avec l’organisation Sikhs for Justice.

Dans le cadre de ces référendums, on a pu voir à Brampton, en juin dernier, le tableau d’un défilé célébrant l’assassinat d’Indira Gandhi, tuée par ses gardes du corps sikhs en 1984, peu de temps après une intervention de l’armée indienne qui avait causé la mort de centaines de sikhs favorables à l’indépendance.

Représentation d'Indira Gandhi la robe maculée de sang face à deux hommes la pointant d'un fusil.

Un tableau du défilé sikh du 4 juin 2023 à Brampton représentait l’assassinat de l’ancienne première ministre indienne Indira Gandhi.

Photo : X/@BalrajDeol4

Une vidéo diffusée sur Internet montrait l’ancienne première ministre portant un sari blanc taché de sang, les mains levées tandis que des hommes vêtus d’un turban pointaient des armes sur elle. Sur une affiche derrière la scène était écrit : Vengeance.

Cette vidéo avait provoqué une forte réaction de l’Inde. Le ministre des Affaires étrangères avait alors déclaré qu’il existait un problème […] concernant l’espace accordé aux séparatistes, aux extrémistes et à ceux qui prônent la violence.

Ce n’est pas bon pour nos relations et ce n’est pas bon pour le Canada, avait-il affirmé.

Au début du mois de septembre, la Commission scolaire de Surrey a annulé le référendum organisé par Sikhs for Justice à l’École secondaire Tamanawis en raison de l’utilisation de matériel promotionnel jugé violent. On y voyait une photo de l’école sous une kalachnikov, symbolisant l’Inde, en train d’être poignardée par le bras d’un homme sikh à l’aide d’un crayon.

Les visages de Talwinder Singh Parmar, le cerveau de l’attentat du vol 182 d’Air India, et d’Hardeep Singh Nijjar y étaient également représentés.

En Inde, de voir ça, puis que le gouvernement canadien reste les bras croisés, ça les indispose, note Serge Granger, professeur à l’Université de Sherbrooke. Le gouvernement Modi reproche au gouvernement Trudeau d’être très laxiste […] et de laisser les mouvements séparatistes sikhs tenir des discours qui appellent à la haine et la destruction de l’Inde.

Quand on voit l’apologie des assassins d’Indira Gandhi, est-ce que c’est considéré comme un discours haineux? C’est sûr que ça appelle à la violence.

D’autres pays sont plus sévères à cet égard, rappelle M. Granger : au Royaume-Uni, un autre pays où l’on trouve une forte diaspora de confession sikhe, le premier ministre Rishi Sunak, qui est lui-même fils d’immigrants indiens et de confession hindoue, a clairement soutenu que tout appel à la violence serait sévèrement puni.

Des sikhs portant des drapeaux du Khalistan marchent sur le drapeau de l'Inde.

Des manifestants devant la Haute-Commission de l’Inde à Londres, le 22 mars 2023.

Photo : Getty Images / Kin Cheung

Aucune forme d’extrémisme ou de violence n’est acceptable au Royaume-Uni, a récemment soutenu M. Sunak. Il a affirmé travailler avec le gouvernement indien pour lutter particulièrement contre l’extrémisme pro-Khalistan.

Aucune déclaration semblable n’a été faite au Canada.

Le Canada est une démocratie, donc on y accepte toutes sortes de de discours, y compris des revendications nationales, note David Morin, professeur à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.

C’est complexe de tracer la ligne entre ce qui est acceptable sur le plan de la liberté d’expression et ce qui est un appel direct à la violence.

Les pays sont libres de décider quelles entités ils placent sur leur liste d’organisations terroristes. Ainsi, certaines organisations sikhes sont considérées comme terroristes en Inde, mais pas au Canada.

Un certain nombre de pays, plus autoritaires, ont une compréhension extrêmement extensive de ce qu’est une organisation terroriste, souligne David Morin. C’est le cas de l’Inde, mais aussi de la Chine et de la Russie, par exemple.

Une femme tient une affiche dénonçant le «génocide des Ouïghours».

L’ethnie minoritaire musulmane des Ouïghours fait l’objet d’une féroce répression de la part de l’État chinois, justifiée par la lutte contre le terrorisme.

Photo : afp via getty images / Ozan Kose

Des mouvements de libération nationale ou de soutien à certaines communautés ethniques pourraient être considérés comme terroristes dans l’État d’où ils sont originaires. Mais c’est au Canada de décider s’il les place ou pas sur sa propre liste.

L’Inde peut dire : vous avez un individu qui contribue à financer une organisation que nous on considère comme terroriste, mais c’est au Canada de mener son enquête et de considérer si un individu participe à des activités terroristes au regard de son propre droit criminel et au regard de sa propre liste canadienne des entités terroristes, observe le chercheur.

Le droit international

Les procédures diplomatiques existent pour gérer ces situations, rappelle John Packer, professeur de droit agrégé et directeur du Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne (CREDP) à l’Université d’Ottawa.

Si l’Inde a un problème avec quelqu’un au Canada, elle doit normalement suivre le processus diplomatique et porter plainte, souligne M. Packer.

On ne peut pas simplement prendre dans ses propres mains des moyens violents pour commettre un assassinat extrajudiciaire. Ce serait la fin du droit international.

Dans la mesure où le Canada accueille un nombre important de réfugiés, c’est une question qui se posera de plus en plus souvent. Certains d’entre eux sont des opposants politiques, qui ont dû fuir leur pays à cause de leurs opinions, et d’autres sont des activistes, qui continuent à militer activement pour leur cause, même en exil.

Dans un pays libre comme le Canada, ils ont le droit de s’exprimer, remarque M. Packer.

Les gens qui sont en faveur de l’indépendance du Pendjab ne devraient pas être vus comme des ennemis de l’Inde et ne devraient surtout pas avoir à craindre pour leur sécurité, estime-t-il.

La diaspora sikhe au Canada est la plus importante dans le monde, avec plus de 770 000 personnes. Environ 35 % des Indiens résidant au Canada sont sikhs, alors qu’il y a seulement 1,8 % de sikhs en Inde.

C’est pourtant un problème dont se plaignent certains membres de la communauté sikhe. Et un enjeu qui deviendra de plus en plus pressant au pays, dans la mesure où leur nombre est en augmentation, rappelle Serge Granger.

En 2022, l’Inde a été le premier pays d’origine des immigrants au Canada, avec 118 000 personnes, la Chine étant deuxième, avec 31 000 personnes.

Le visage de l’immigration change très rapidement, remarque le chercheur.

On est en train d’assister au début d’une vraie émergence indienne. Les 30 dernières années étaient celles de la Chine, les 30 prochaines seront celles de l’Inde. Il va falloir apprendre à vivre avec cette réalité.

À lire aussi :

Avec les informations de Reuters et La Presse canadienne

Source :Radio Canada

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