
C’est mon endroit préféré, parce que lorsque je me suis réfugiée ici, je regardais les oiseaux et j’observais tout ce que je ne voyais pas auparavant, tellement il y avait de douleur dans mon cœur, tellement j’avais de ressentiment et d’amertume pour toutes les choses que j’ai vécues.
Yezy Cubas dans le jardin du Centre d’assistance intégrale aux femmes de Juticalpa, Olancho, Honduras.
Photo : Radio-Canada / Paloma Martinez-Mendez
34 ans… et 8 enfants
Pendant des années, cette Hondurienne de Juticalpa, dans le département d’Olancho, au Honduras, a été victime de violence conjugale.
Elle s’est réfugiée pendant quelque temps dans le centre d’hébergement
CAIM, qui bénéficie d’un financement du gouvernement canadien et d’un soutien technique du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).Yezy Cubas, 34 ans, a huit enfants : deux filles et six garçons. Caleb, 3 ans, était avec elle au moment où nous l’avons rencontrée et c’est aussi lui qui l’accompagne la plupart du temps.
Yezy Cubas et le petit Caleb, âgé de 3 ans, sont toujours ensemble. Il est l’avant-dernier de ses huit enfants.
Photo : Radio-Canada / Paloma Martinez-Mendez
Parmi ses sept autres, le jeune de 15 ans et celui de 10 ans vivent également avec elle. Deux autres, deux adolescents de 14 et 13 ans, sont placés dans un orphelinat sur décision d’un juge aux affaires familiales.
L’aînée, âgée de 21 ans, est mariée. Et Alex, 19 ans, est en route pour les États-Unis ou le Canada. Il n’a pas encore décidé de sa destination ultime. Il est au Mexique depuis quatre mois.
Je disais à mon fils de ne pas partir. Il y a tellement de dangers, tellement de choses qui peuvent arriver
, a fait savoir Yezy Cubas.
La mère en parle en connaissance de cause. À l’âge de 17 ans, elle a décidé d’aller tenter sa chance au Mexique quand des amis
lui ont suggéré de faire le voyage vers le nord. Une décision qu’elle regrette aujourd’hui. C’est pourquoi elle a voulu dissuader son fils de suivre cette voie.
Je lui ai dit : « N’y va pas. Peu importe que tu sois pauvre, tu sais vivre et il ne t’arrivera rien où que tu sois. Tu sais qu’il ne faut pas sortir dans la rue, tu ne dois pas boire, tu ne dois pas avoir de mauvaises fréquentations. Je t’ai appris beaucoup de choses… ne pars pas. »
Pourtant, Alex est parti. En dépit des supplications et des mises en garde maternelles.
« Je souffrais trop »

Alex Cubas, 19 ans, a quitté le Honduras le 6 janvier 2023. Douze jours plus tard, il est arrivé à Tapachula, au Mexique, où il réside actuellement en attendant de pouvoir poursuivre son voyage vers les États-Unis ou le Canada.
Photo : Radio-Canada / Paloma Martinez-Mendez
Contacté par
RCI à Tapachula, au Mexique, Alex Cubas a expliqué que sa décision de quitter le Honduras était motivée par le désir de vivre une vie paisible, sans violence.Entre l’âge de 10 et 17 ans, le jeune homme, qui se définit comme homosexuel, a vécu dans un pensionnat de l’État sur ordonnance du tribunal, tout comme trois de ses frères et sœurs.
C’est dans cet établissement qu’Alex Cubas dit avoir été victime de plusieurs actes de violence, raison pour laquelle il s’est enfui avant de devenir majeur.
J’ai enduré tant de choses pendant sept ans! Viols, violences physiques et verbales, intimidation, jusqu’à ce que je prenne la décision de ne plus rester là, je souffrais trop. Je ne pouvais pas dire à ma mère ce qui m’arrivait, parce qu’ils me menaçaient. Si je le lui disais, il m’arriverait ceci ou cela.
Ce jeune Hondurien affirme également avoir été agressé par plusieurs personnes, y compris par des membres de sa famille. Malgré les menaces, le jeune homme et sa mère ont porté plainte et ont même réussi à obtenir une ordonnance d’éloignement à l’encontre de l’ex-mari de Yezy.
La violence en chiffres
La Red Lésbica Cattachas, à Tegucigalpa, dispose d’un observatoire sur la violence contre les femmes, les filles, les personnes LGBTIQ+ et les communautés autochtones et afro-honduriennes.
Photo : Radio-Canada / Paloma Martinez-Mendez
RCI n’a pas été en mesure de vérifier le bien-fondé des allégations avancées par Alex Cubas. Toutefois, selon le bureau du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme au Honduras, les lesbiennes, les homosexuels, les bisexuels, les transgenres et les intersexués (LGBTI) continuent d’être victimes d’une stigmatisation et d’une discrimination généralisées.
En 2022, l’observatoire de la Red Lésbica Cattrachas a fait état d’une augmentation de la violence à l’encontre des LGBTI, qui s’est traduite par 43 meurtres (26 homosexuels, 11 lesbiennes et 6 transgenres) et 2 disparitions. Seuls huit de ces cas font l’objet d’une enquête criminelle, selon l’ONG.
Olancho, un lieu hostile
En ce qui concerne la violence à l’égard des femmes, le nombre de morts violentes dans le département d’Olancho, dans l’est du Honduras, a explosé en 2022.
Pour le seul mois de juillet de cette année-là, 27 morts violentes de femmes ont été enregistrées, selon le même observatoire du Réseau lesbien Cattrachas.
Panneau à la frontière du département d’Olancho, au Honduras, à l’est de Tegucigalpa. Les trous sur le ciment sont des impacts de balles.
Photo : Radio-Canada / Paloma Martinez-Mendez
La municipalité de Juticalpa, où se trouve le foyer
CAIM où s’est réfugiée Yezy Cubas, est l’une des plus touchées par ce phénomène de violence. La plupart des victimes sont âgées de 20 à 50 ans.Selon María Teresa Henríquez, coordinatrice du Bureau des femmes de Juticalpa, son travail principal consiste à parler aux femmes de leurs droits.
Elle explique que de nombreuses femmes viennent au Nous sommes très satisfaites de savoir que nous collaborons avec les femmes
, dit-elle.
María Teresa Henríquez, à l’entrée du Centre d’assistance intégrale pour les femmes à Juticalpa, au Honduras.
Photo : Radio-Canada / Paloma Martinez-Mendez
Cependant, cette travailleuse sociale expérimentée constate que bien souvent, il y a de l’impuissance
.
De nombreux cas restent impunis. En d’autres termes, la loi est écrite, mais elle n’est pas appliquée. En effet, les femmes sont souvent des proches de l’agresseur et les dossiers restent en suspens ou sont perdus. C’est pourquoi de nombreuses femmes sont obligées de se déplacer dans d’autres lieux pour obtenir justice.
La coordinatrice du
CAIM affirme que même elle et ses collègues, en tant que militantes des droits de la personne et des droits des femmes, se sentent souvent en danger.Il y a des agresseurs qui n’aiment pas voir quelqu’un se mettre en travers de leur chemin
, relève-t-elle.
De gauche à droite, Karla Matute, Fransy Garcia et María Teresa Henríquez, responsables du Centre d’assistance intégrale pour les femmes Juanita Díaz, à Juticalpa, au Honduras.
Photo : Radio-Canada / Paloma Martinez-Mendez
La violence qui pousse aux déplacements
Selon une étude sur les déplacements internes au Honduras, la violence fondée sur le genre est l’un des principaux facteurs susceptibles de contraindre une famille à déménager.
Cette violence s’explique par les conditions structurelles de l’inégalité entre les hommes et les femmes dans ce pays.
La même étude, menée par la Commission interinstitutionnelle pour la protection des personnes déplacées par la violence, a conclu que plus de la moitié des personnes déplacées au Honduras (55 %) l’ont été au sein de leur propre municipalité.
Cela laisse croire que si les femmes fuient les localités ou les quartiers où elles sont exposées à la violence, elles cherchent également des endroits sûrs sans trop s’éloigner de leur lieu d’origine, de peur d’être déracinées.
Une murale près des bureaux des Nations unies à Tegucigalpa, au Honduras.
Photo : Radio-Canada / Jonathan Dupaul
Je reste ici
Dans le cas de Yezy Cubas, le déplacement est particulier. Cette jeune mère de huit enfants passe la matinée à la maison à préparer la nourriture qu’elle vend, à la mi-journée, dans son petit commerce informel, avant de rentrer chez elle en fin d’après-midi pour laver les vêtements et préparer quelques affaires pour le lendemain.
Cependant, elle ne passe pas la nuit chez elle.
Un jour, il [mon mari] allait nous brûler avec de l’essence. En fait, j’ai eu très peur de lui à plusieurs reprises. Cela fait huit jours que je n’ai pas pu dormir dans la maison. Mes pasteurs m’ont soutenue, je suis restée avec eux. Je rentre à la maison pendant la journée, car je sais qu’il ne viendra pas à la maison pendant la journée.
Cette Hondurienne a longtemps songé à s’installer plus loin, en dehors de la municipalité. Mais elle préfère ne pas le faire, car deux de ses enfants vivent encore dans un orphelinat et son plus jeune est avec son ex-mari, qui ne la laisse pas le voir.
Je reste donc ici
, se résigne Yezy.
Malgré la peur, cette mère dit avoir voulu partager son histoire avec Ce dont j’ai parlé aidera d’autres personnes
, espère-t-elle.
Quant à ses fils et ses filles, cette Hondurienne ne souhaite que deux choses.
Leur donner l’amour et la sécurité dont ils ont besoin, leur offrir un mode de vie différent. Je ne veux pas que mes enfants soient comme les gens qui leur ont fait tant de mal.
Pour cette mère, avoir huit enfants est une bénédiction
. Je voulais une famille nombreuse.
En fait, le rêve de Yezy Cubas serait que tous ses fils et filles se mettent ensemble
pour lancer les projets commerciaux qu’elle a en tête. Quant à Alex, son souhait est qu’il revienne au pays.
Ainsi, nous pourrions toujours être ensemble
, dit-elle.

Alex Cubas
Photo : (Cortesía) / Facebook
Pour sa part, Alex est convaincu que, pour l’instant, la meilleure chose à faire est de poursuivre son périple vers le nord.
Après quatre mois d’attente, le gouvernement mexicain lui a accordé un visa de transit humanitaire afin qu’il puisse travailler et étudier en attendant de décider s’il reste au Mexique ou s’il continue sa route.
Le jeune homme est en contact avec le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Tapachula, au Mexique.
Il a aussi l’intention de s’adresser à un consulat ou à une ambassade du Canada pour demander des informations sur les possibilités d’obtenir le statut de réfugié. Alex Cubas sait que le gouvernement canadien, contrairement à celui des États-Unis, reconnaît la violence de genre comme un motif valable de demande d’asile.

Le Canada est considéré un leader mondial en matière de droits des personnes LGBTQ+, notamment en ce qui concerne les questions d’asile.
Photo : getty images/istockphoto / Antwon McMullen
Entre-temps, la mère et son fils gardent un contact étroit par le biais des réseaux sociaux, tels que Messenger ou Whatsapp, même si, parfois, ils préfèrent ne pas se raconter les détails de leurs vies respectives, pour ne pas ébranler l’autre.
Yezy et Alex Cubas ont une conviction commune : aller de l’avant et s’offrir une vie sans violence. Peu importe le chemin pour y parvenir.
Note : ce reportage est également disponible en espagnol