
Le centre-ville de San Francisco se vide depuis la pandémie, révélant une ville aux problèmes sociaux criants.
Les chiffres n’ont rien de rassurant. Les tours à bureaux se sont vidées, laissant 25 millions de pieds carrés vacants en plein cœur de la capitale. La valeur des immeubles commerciaux a chuté de 80 %.
Entre 2020 et 2022, la population de la ville a diminué de près de 8 %. L’utilisation des transports en commun a chuté de 750 000 à 400 000 usagers.
Cette année, la ville a dû couper 780 millions de dollars de son budget de 14 milliards, faute d’entrées d’argent. La mairie doit maintenant renflouer ses coffres et songe à imposer un péage sur les ponts et à prolonger l’horaire d’utilisation des parcomètres.

Les tours à bureaux de San Francisco sont pour la plupart vides.
Photo : Radio-Canada / Azeb Wolde-Giorghis
Les gratte-ciel se dressent toujours majestueusement au centre-ville, mais ils sont pour la plupart inoccupés.
Les entreprises technologiques comme Meta, Pinterest ou X (Twitter) occupaient 76 % de l’espace dans les bureaux du centre-ville, selon le groupe de conseil en immobilier CBRE. Mais elles ont effectué d’importantes mises à pied après la pandémie.

Le télétravail s’ajoutant aux mises à pied, le centre-ville s’est peu à peu vidé et l’économie s’en est trouvée paralysée du même coup.
Même les hôtels ne font plus leurs frais. La chaîne Park and Resorts a fermé un de ses plus grands hôtels; et a arrêté d’effectuer les paiements sur son prêt de 725 millions de dollars.
La municipalité essaie donc de s’attaquer au problème des tours de bureaux vides.

Strachan Forgan, architecte.
Photo : Radio-Canada / Azeb Wolde-Giorghis
Des architectes comme Strachan Forgan se sont spécialisés dans la conversion de bureaux en condominiums.
Ces conversions sont cruciales. Il y a beaucoup d’immeubles vacants, sous-utilisés. Il faut qu’il y ait plus de résidents : ça va aider les restaurants, les commerces. Mais d’abord, il faut régler la crise sociale.
À l’ombre des gratte-ciel vides
Sur le trottoir, au pied des tours inoccupées, se trouvent des milliers de sans-abri.
Isaac, la quarantaine avancée, vit dans la rue et répare des vélos.
J’ai été évincé il y a deux mois et demi de chez moi. Les appartements, les hôtels, les bureaux sont vides. Il se passe des choses bizarres! Je suis plus heureux dans la rue.

Des tentes de sans-abri au centre-ville de San Francisco.
Photo : Radio-Canada / Azeb Wolde-Giorghis
Selon Jennifer Friendenbach, de la Coalition pour les sans-abri, la situation à San Francisco est le résultat de mauvaises décisions politiques depuis les années 1980 et d’un manque de financement du fédéral pour des logements sociaux.
L’augmentation des loyers, la perte d’emplois et les problèmes en santé mentale ont jeté des milliers de gens dans la rue. On a environ 10 000 sans-abri à San Francisco.

Un jeune homme vient de prendre du fentanyl.
Photo : Radio-Canada / Sylvain Richard
À cela s’ajoute la crise du fentanyl : deux décès par surdose par jour à San Francisco.
On reconnaît à leur dos voûté les personnes sous l’effet de cette drogue, presque immobiles sur le trottoir. Et elles sont nombreuses, dans les rues de la ville.
Il y a une crise humanitaire en plein cœur de San Francisco et dans tout le pays. C’est une crise en santé publique. On les aide du mieux qu’on peut, mais il faut s’attaquer au trafic de drogue.
Le trafic se fait à ciel ouvert, dans le quartier Tenderloin.
Une enquête du San Francisco Chronicle a révélé que c’est un cartel de la vallée de Siria, au Honduras, qui contrôle le trafic. Quelque 200 migrants du Honduras ont été arrêtés en 2022 pour trafic de drogue.
La ville est aux prises avec de nombreux cambriolages dans les magasins. Les vols dans les voitures ont également explosé.
La voiture louée par Radio-Canada a été dévalisée au parc Alamo, alors que notre équipe était à peine quelques mètres plus loin en train de filmer. Au poste de police, un agent a rédigé un rapport sans broncher, en confirmant qu’il y a beaucoup de vols dans les voitures, mais qu’il ne pouvait faire grand-chose, outre remplir le formulaire.
Une équipe de CNN s’était également fait dévaliser sa voiture, quatre mois plus tôt.
Les touristes ne sont pas non plus épargnés.
On a eu une petite mésaventure avec notre voiture, dont les fenêtres ont été cassées. Heureusement, on n’avait rien laissé dedans. On sent qu’il y a eu un peu de drogue.
Devant cette insécurité grandissante, les commerces et restaurants ont commencé à fermer les uns après les autres.
Même le supermarché Whole Foods, qui avait ouvert en grande pompe en mars 2022, a dû mettre la clé sous la porte après un an. Le magasin Nordstrom a également fermé ses portes le 31 août dernier, après 30 ans d’activité. On évoque chaque fois la même raison : La dynamique du centre-ville a changé.
On parle ici de la doom loop, la boucle du malheur, qui traduit bien la descente aux enfers de cette municipalité qui, jadis, faisait rêver.
L’avenir dans les mains de l’IA

Aaron Peskin, président du conseil municipal.
Photo : Radio-Canada / Azeb Wolde-Giorghis
Aaron Peskin refuse de baisser les bras et croit fermement que sa ville va s’en sortir
Il mise sur les entreprises spécialisées en intelligence artificielle (IA). Il affirme que les 20 plus grosses entreprises en IA sont basées à San Francisco.
L’intelligence artificielle présente cependant d’autres défis, d’après M. Peskin : Ça va régler un problème mais en créer d’autres.
Il parle notamment des emplois qui disparaîtront inévitablement.
L’impact de l’intelligence artificielle est le défi de la planète Terre.
On ne parle déjà plus de la Silicon Valley, mais de la Cerebral Valley, la vallée cérébrale.
Déjà quelque 500 robots-taxis circulent au centre-ville. Ces voitures n’ont pas de chauffeurs.
Deux compagnies – Waymo, qui appartient à Google, et Cruise, qui appartient à GM – ont eu le feu vert des autorités californiennes pour faire circuler leurs robots-taxis 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Un taxi sans chauffeur.
Photo : Radio-Canada / Azeb Wolde-Giorghis
À l’ère des nouvelles technologies, San Francisco donne un avant-goût de ce qui attend peut-être les villes nord-américaines.
L’écart entre les riches et les pauvres ne fait que s’accroître et la technologie continue à se développer.
Tout cela laisse une population de plus en plus désœuvrée et déconnectée, qui peine à trouver sa place dans les grandes artères de la ville.