L’utilité d’un mystérieux fragment d’os piqueté révélée par l’archéologie expérimentale

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Le fragment d’une dizaine de centimètres pourrait être considéré comme banal, puisqu’il est similaire à bien d’autres couramment découverts en Europe.

Mais celui-ci est particulier : il présente des marques à sa surface qui le rendent très intéressant aux yeux des archéologues. On peut y observer 10 ponctuations bien alignées, explique Luc Doyon, archéologue à l’Université de Bordeaux, en France, dont les travaux sont publiés dans la revue Science (Nouvelle fenêtre) (en anglais).

Le morceau appartient à un os plat, possiblement la mandibule, la scapula (omoplate) ou le bassin d’un animal assez gros comme le cheval ou l’auroch, l’ancêtre de nos vaches domestiques. Il date de 39 600 ans. Une datation contextuelle, puisque l’os n’a pas été sectionné afin d’en préserver l’intégralité. Ce sont des morceaux de charbon découverts dans la même couche de sédiments qui ont révélé son âge.

Une œuvre d’art ou un outil?

La question était de savoir pourquoi des humains avaient perforé le fragment. À quoi pouvait-il servir? Luc Doyon et ses collègues avancent l’idée qu’il pourrait s’agir d’un outil pour percer des peaux afin de fabriquer des vêtements, mais ils devaient encore le prouver.

À l’époque, les humains (Homo sapiens) qui peuplaient la région – et l’Europe – étaient des Aurignaciens, une société nomade du Paléolithique supérieur connue pour son utilisation d’une série d’outils d’os pour travailler le silex, fabriquer des bijoux, des objets d’art et d’autres instruments.

Elle est également la première culture à laisser des traces durables d’art figuratif, comme des statuettes en ivoire de mammouth.

D’ailleurs, des ponctuations créées sur un os par les Aurignaciens pourraient n’être simplement que décoratives ou symboliques.

Des hypothèses que Luc Doyon et ses collègues n’ont pas retenues.

Lorsqu’elles [ponctuations] sont décoratives, elles apparaissent habituellement sur des figurines sculptées. Les petits points sont une allégorie du pelage d’un animal ou des vêtements d’une figure anthropomorphe, note M. Doyon.

On a rapidement laissé tomber l’aspect décoratif parce que le morceau d’os n’a pas été mis en forme. C’est juste un bout fracturé. Mais l’aspect symbolique a été plus difficile à écarter, ajoute M. Doyon.

« On a bien 10 ponctuations alignées, mais au microscope, on en a repéré 18 autres à peine visibles et parfois même les unes par-dessus les autres. »

— Une citation de  Luc Doyon, Université de Bordeaux
Morceau d'os piqueté.

En haut, les points sont à peine perceptibles et désordonnés et, en bas, la série de dix points bien alignés. (la ligne blanche mesure un centimètre)

Photo : Université de Bordeaux/LucDoyon et Francesco d’Errico

L’archéologue ne pense donc pas non plus qu’il s’agit d’une interprétation symbolique, qui présente habituellement des régularités visibles.

« Si c’était un objet symbolique, on voudrait transmettre facilement une idée, une information, simplement en le regardant. Le fait que certaines informations ne soient pas visibles ne cadre donc pas avec cette idée. »

— Une citation de  Luc Doyon, Université de Bordeaux

Le fragment piqueté n’est donc pas une œuvre artistique. Voilà pourquoi Luc Doyon et ses collègues avancent l’idée qu’il pourrait s’agir d’un outil pour percer des peaux afin de fabriquer des vêtements.

L’archéologie expérimentale à la rescousse

Pour montrer qu’elle était bel et bien en présence d’une planche à découper le cuir, les chercheurs a eu recours à l’archéologie expérimentale.

« C’est une approche par laquelle on essaie de reproduire les gestes qu’ont faits les [humains] préhistoriques avec des répliques de leurs outils qu’ils auraient pu avoir à leur disposition. »

— Une citation de  Luc Doyon, archéologue à l’Université de Bordeaux

L’équipe européenne a ainsi créé une série d’expériences qui lui ont permis de comparer du matériel expérimental au matériel archéologique pour déterminer quelles techniques et quels outils (burins ou pointes en silex) ont été utilisés pour créer le dispositif.

« On s’est rendu compte que les pointes explosaient et que les burins, des outils allongés beaucoup plus robustes, étaient beaucoup plus efficaces. »

— Une citation de  Luc Doyon, archéologue à l’Université de Bordeaux

Ils ont ensuite expérimenté quelques techniques pour imaginer comment les trous d’un demi-millimètre avaient été créés.

« Avec une côte de bœuf que l’on pose sur une jambe, on parvient assez facilement, en mettant le burin par-dessus et en utilisant une sorte de marteau, à réaliser des marques très semblables. »

— Une citation de  Luc Doyon, archéologue à l’Université de Bordeaux

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p class= »e-p »>Les chercheurs ont ensuite voulu savoir quels types d’activités permettaient de produire ce genre de marques sur l’os.

Ils se sont alors aperçus qu’en perçant un cuir épais, on produit exactement la même morphologie arrondie. C’est presque identique, voire identique à ce qu’on retrouve sur l’objet archéologique, poursuit M. Doyon.

Des poux et des vêtements

  • Des analyses génétiques ont permis d’établir par le passé qu’il y a eu une divergence entre deux espèces de poux, les poux de tête et les poux du corps, il y a entre 80 000 et 100 000 ans.
  • Les poux du corps sont des insectes parasites qui vivent sur les vêtements des personnes infestées. La spéciation des poux indique ainsi que l’utilisation de vêtements était déjà courante il y a 80 000 ans.
  • Les plus anciennes aiguilles à chas viennent de la Sibérie et de la Chine.
  • Des travaux menés par Luc Doyon et son collègue Francesco d’Errico publiés en 2018 (Nouvelle fenêtre) montrent qu’elles sont apparues indépendamment dans ces régions il y a à peu près 45 000 ans. Les premières aiguilles européennes datent pour leur part de 26 000 ans.
  • Les techniques et les outils que les humains utilisaient pour coudre avant l’apparition de l’aiguille à chas demeuraient inconnus.

Qu’est-ce qui s’est passé entre l’arrivée des premiers Homo sapiens en Europe et il y a 26 000 ans, sachant qu’il ne faisait pas très chaud à cette époque sur le continent? s’interroge M. Doyon.

Notre étude montre que la technique [de la planche à découper le cuir] était utilisée par les premiers Homo sapiens européens, remarque-t-il.

Luc Doyon ajoute que la méthode vieille de près de 40 000 ans est toujours utilisée aujourd’hui par les cordonniers et par quelques sociétés traditionnelles

Les premiers outils de pierre seraient apparus il y a 3 millions d’années et ceux en os, il y a 2,4 millions d’années.

Des vêtements préhistoriques sur mesure

L’invention d’une technique de piquage qui permet de produire facilement et rapidement un grand nombre de perforations identiques pourrait avoir facilité l’apparition de vêtements sur mesure, estiment Luc Doyon et ses collègues.

De plus, les chercheurs notent que la régularité observée dans la production des marques laisse à penser que l’artisan maîtrisait parfaitement la technique.

Cela suggère que les chasseurs-cueilleurs de l’Aurignacien possédaient et utilisaient la technologie pour produire des vêtements ajustés, même si leur système technique n’impliquait pas la production d’aiguilles à œil d’os, concluent les chercheurs.

Des vêtements ajustés qui ont certainement permis à ces premiers Européens de s’adapter à la variabilité climatique qui a caractérisé le Paléolithique supérieur du continent. Une température qui pouvait rappeler celle du Québec en hiver, note M. Doyon, qui a obtenu son baccalauréat et sa maîtrise à l’Université de Montréal.

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Source :Radio Canada

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