Les internautes climatosceptiques passent à l’offensive

Vues : 23
0 0
Durée de lecture :14 Minute, 35 Secondes

Il n’y a pas d’urgence climatique, c’est devenu une nouvelle religion.

Le GIEC est une machine de propagande politique.

Personne n’a été en mesure de prouver que le réchauffement est dû à nos émissions.

Sur la page Twitter d’Elpis_R, une publication n’attend pas l’autre. Dans un flot quotidien, cet utilisateur francophone discrédite le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et les médias à coups de partages d’extraits d’articles, d’études scientifiques et de graphiques.

Dans sa biographie, il se présente comme un climate realist spécialisé dans la recherche menée de façon indépendante sur les sciences du climat.

Or, Elpis_R n’a d’expertise que son habileté à confondre les foules en déformant ce que dit la science, selon des chercheurs français qui ont suivi de près l’évolution du compte. À leurs yeux, cet utilisateur qui s’intéresse aux questions climatiques depuis peu de temps est rapidement devenu le plus influent de la communauté climatosceptique française sur Twitter. L’activité de ce compte suivi par plus de 18 300 abonnés a plus que doublé depuis l’été 2022.

Le comportement d’Elpis_R est symptomatique d’une tendance qu’ont pu observer les chercheurs du Centre national de la recherche scientifique ces dernières années.

Dans leur étude, les chercheurs désignent aussi le climatoscepticisme par « dénialisme climatique » et « climatodénialisme ». Selon eux, ces termes correspondraient davantage à l’attitude adoptée par ces communautés, qui consiste à rejeter des faits scientifiques au profit d’idées controversées.

En croisant les données de trois observatoires qui documentent de façon indépendante différents types de publications militantes sur les réseaux sociaux, les chercheurs ont constaté que la communauté climatosceptique s’est solidifiée autour de causes communes étrangères à la question climatique et qu’elle possède une structure d’organisation bien particulière.

Le nombre de comptes qui font du déni de l’urgence climatique leur credo a connu une augmentation massive pendant le cycle électoral français, entamé au printemps 2022, puis au cours de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Charm el-Cheikh, en Égypte, en novembre 2022.

Mais quelque chose de nouveau s’est produit, du moins en France, explique David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS. Ce net regain de l’activité des climatosceptiques n’est pas juste corrélé à un été trop chaud ou à la tenue d’une COP sur le climat.

Si les militants climatosceptiques ont l’habitude de passer à l’offensive sur les réseaux sociaux en réaction à l’actualité liée au climat, cette fois-ci, il y a une réelle volonté d’agir sur l’espace informationnel, avec des gens qui sont tout le temps là à développer des arguments [négationnistes], souligne M. Chavalarias.

« Leur niveau d’activité a vraiment été multiplié et surpasse tous les niveaux d’activité précédents. On assiste à une suractivité du « climatodénialisme ». »

— Une citation de  David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS

Bien que le mathématicien juge difficile d’en identifier clairement les causes, il avance néanmoins que cette mobilisation surprenante a ses propres schémas et est propulsée par des tactiques et discours qui témoignent, selon lui, d’une inauthenticité.

Le nombre de publications potentiellement générées par des robots est plus élevé dans cette communauté, selon les chercheurs, qui notent également un niveau marqué de contradictions et de propos toxiques.

Les ténors du négationnisme climatique se targuent en outre d’avoir de multiples expertises. À l’opposé des comptes identifiés comme proclimat par les chercheurs, ces internautes présentent un profil d’expertises passablement anormal, certains comptes tendant à s’exprimer sur tous les sujets en grande quantité.

Un groupe restreint de comptes concentre en outre cette expertise présumée, écrivent les chercheurs du CNRS.


« Maîtres de la rhétorique des 5D »

Voici comment les chercheurs du CNRS résument la tactique de subversion employée par ces communautés :

– Déformation : les publications versent dans la désinformation et instrumentalisent les résultats d’études scientifiques.

– Discrédit : pour contrer le message des scientifiques, les climatosceptiques remettent en question leur crédibilité.

– Distraction : les comptes soulignent que la question climatique ne devrait pas primer sur d’autres enjeux sociétaux jugés plus importants, comme le chômage.

– Dissuasion : les internautes vont insister sur les conséquences des politiques mises en œuvre pour lutter contre les changements climatiques. Ils brandissent, par exemple, la menace des pertes d’emplois liées à la transition énergétique.

– Division : les climatosceptiques vont opposer les puissants, les scientifiques et les médias au peuple qui, contrairement à l’élite, souffrira des politiques climatiques adoptées, selon ce discours.

Une publication Twitter d'Elpis_R sur les crises de société plus importantes, selon lui, que celle du climat.

Agrandir l’image (Nouvelle fenêtre)

Des chercheurs français ont suivi de près l’évolution du compte Twitter @Elpis_R, qui publie régulièrement du contenu qui rejette l’existence d’une crise climatique.

Photo : Twitter

À ces 5D s’ajoute le doute, selon David Chavalarias. Le sujet du réchauffement climatique est compliqué et complexe, dit-il. Comme les résultats scientifiques sont souvent présentés en fourchette, certains comptes vont donc jouer sur l’incertitude autour de ces constats. Vaut-il vraiment la peine de se plier en quatre pour quelque chose qui n’est pas certain? Peut-être qu’il vaut mieux attendre, donne-t-il en exemple.


En plus de remettre en question l’urgence climatique, des internautes ont aussi tendance à nier l’existence de la crise de la biodiversité. Ce phénomène, baptisé scepticisme de l’extinction, se manifeste de plus en plus sur les réseaux sociaux, note de son côté Julie Talbot, directrice du Département de géographie de l’Université de Montréal.

Il s’incarne par un déni des taux d’extinction des espèces ou par des discours qui relativisent à tort l’impact qu’aurait, selon eux, la disparition de la faune et de la flore sur les activités humaines, explique la chercheuse, qui s’inquiète que cette stratégie soit tout aussi dommageable que celle de nier l’existence des changements climatiques.

Ralliés autour d’un sentiment antisystème

Mais comment est constituée cette communauté? En observant les publications passées de 10 000 profils, les chercheurs français ont remarqué que 60 % d’entre eux avaient contribué à relayer la propagande du Kremlin, au début de l’invasion russe de l’Ukraine.

Une grande partie des comptes s’étaient aussi opposés aux mesures sanitaires imposées au plus fort de la pandémie de COVID-19 et avaient diffusé de fausses informations sur les variants du coronavirus.

Le profil type de l’internaute qui nie l’urgence climatique est antisystème presque par principe, observe David Chavalarias. Ni de droite ni de gauche, sans corrélation prouvée avec les partis politiques traditionnels, ce sont des personnes qui ont milité dans un cadre antisystème, par exemple antivaccin, souvent avec une composante complotiste, et qui ont participé à d’autres mouvements de contestation qui n’ont rien à voir avec le climat, dit-il.

« Il y avait un terreau fertile parmi ces gens qui se sont pris la pandémie dans la figure et qui ont pu – pour des raisons parfois bonnes, par ailleurs – être en colère contre le système et se mobiliser. Mais certains exploitent ça et ont décidé qu’à partir de maintenant, c’est sur le thème du climat qu’ils se coordonnent. »

— Une citation de  David Chavalarias, directeur de recherche au CNR

Il n’y a pas qu’en France que la pandémie est venue cristalliser d’importantes communautés constituées autour de croyances complotistes.

Dans le rapport Deny, Deceive, Delay, des chercheurs de l’Institute for Strategic Dialogue (ISD), un groupe de réflexion anglais spécialisé dans la recherche sur l’extrémisme et la désinformation, ont documenté l’ampleur des publications trompeuses sur le climat en marge des COP26 et COP27 sur les changements climatiques.

Ils ont constaté que les contenus d’une poignée d’acteurs arrivaient à obtenir une portée et un engagement disproportionnés sur les réseaux sociaux auprès de millions de personnes dans le monde entier.

De la même façon que leurs homologues français, les chercheurs de l’ISD ont remarqué que ces profils avaient tendance à partager de la désinformation sur d’autres sujets que le climat. Il peut s’agir du déni d’un génocide, de conspirations comme celles de QAnon ou de la Grande Réinitialisation [Great Reset], comme de fraudes électorales, selon Jennie King, coauteure du rapport et responsable de la recherche et des politiques en matière de climat à l’ISD.

C’est comme si des groupes sont entrés en collision en ligne et que des conspirations hybrides se sont alors formées, a-t-elle décrit devant la Commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation.

Jennie King, qui observe l’évolution des discours négationnistes sur le climat depuis 2020, note que des internautes ont aussi pu partager des contenus liés à la suprématie blanche, voire à l’antisémitisme. Les affirmations au sujet de supposées élites à la tête de réseaux de trafic d’enfants figuraient aussi parmi les sujets de prédilection de certains utilisateurs.

Les campagnes que mènent ces comptes ont de plus en plus recours à une rhétorique clivante où l’on oppose l’action climatique à une crise économique et une prétendue perte de libertés civiles, résume la chercheuse.

Super-influenceurs et noms trompeurs

Sur une période de quatre semaines, soit avant, pendant et directement après la COP27, l’ISD a identifié 12 comptes Twitter dont quelque 400 publications ont su obtenir près de 350 000 partages. La portée de chacun de ces profils variait de 65 000 à 1,9 million d’abonnés. Sur ces 12 comptes, 9 étaient à l’époque – et demeurent à ce jour – des comptes certifiés de la coche bleue, qui témoigne d’une vérification faite par le réseau social.

En juillet 2022, le mot-clic #ClimateScam a soudainement connu un pic de popularité sur Twitter, avant d’atteindre plus de 362 000 mentions de 91 000 utilisateurs uniques en décembre. Le compte ayant le plus contribué à la diffusion du mot-clic affichait un comportement de robot, selon l’ISD, qui a évalué à plus de 60 000 le nombre de publications faites sur cinq mois.

En novembre 2021, un examen mené par l’ISD à l’occasion de la COP26 de Glasgow, en Écosse, avait permis d’identifier les discours les plus communément employés par les climatosceptiques pour discréditer l’action climatique sur les réseaux sociaux.

L’un d’entre eux consistait à propager l’idée selon laquelle la conférence, qui a réuni des leaders du monde entier, était en réalité corrompue et dommageable pour le climat. L’accusation la plus répandue revenait à souligner le double standard en vertu duquel les dirigeants arrivaient des quatre coins du globe en jet privé polluant, et ce, malgré les restrictions sanitaires de la COVID-19. Comme le sommet n’était pas le fruit d’un mandat public, les résultats négociés à Glasgow se devaient en outre d’être rejetés.

De nombreux profils ont aussi eu tendance à remettre en question la crédibilité et la viabilité des sources d’énergies renouvelables et des véhicules électriques. La COP26 a donné une nouvelle vie à d’anciens narratifs déjà démystifiés qui prétendent que ces véhicules ont un impact aussi mauvais, voire pire, sur l’environnement que les véhicules à essence, notaient les chercheurs de l’ISD.

Au nombre des comptes identifiés comme des super-influenceurs de la désinformation climatique se trouvaient plusieurs figures canadiennes connues, comme Jordan B. Peterson, professeur émérite de l’Université de Toronto qui compte 3,9 millions d’abonnés sur Twitter et 6,5 millions sur YouTube.

Exemple de vidéos publiées sur la chaîne YouTube de Jordan B. Peterson.

Agrandir l’image (Nouvelle fenêtre)

Sur sa chaîne YouTube, Jordan B. Peterson invite des personnalités qui remettent en question la science sur le climat.

Photo : YouTube

Particulièrement populaire dans les cercles conservateurs pour ses commentaires incendiaires sur le féminisme, l’identité de genre ou encore la censure universitaire, Jordan B. Peterson s’exprime davantage sur les questions environnementales depuis 2021.

Invités à son balado ou repartagés sur son profil, d’autres super-influenceurs du climatoscepticisme, comme Bjorn Lomborg, auteur du livre Skeptical Environmentalist, Michael Shellenberger, ex-écologiste devenu expert en écopragmatisme, ou encore Alex Epstein, fondateur du groupe de réflexions Center for Industrial Progress qui vend de la marchandise « I Love Fossil Fuels », contribuent à sa plateforme.

Patrick Moore, ancien président de Greenpeace Canada – qui a depuis tenu à s’en distancier –, et Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada, étaient aussi au nombre des personnalités citées pour avoir partagé et amplifié des propos trompeurs en marge de la COP26.


La désinformation sur le CO2

L’un des narratifs qui reviennent fréquemment est celui selon lequel le dioxyde de carbone (CO2) – un gaz à effet de serre qui, une fois relâché dans l’atmosphère, contribue à l’augmentation de la température sur la planète – serait bien moins néfaste qu’on pourrait le penser.

Non seulement des internautes démentent le fait que le niveau d’activités humaines vient augmenter la teneur en CO2 dans l’atmosphère, mais ils en minimisent l’impact en arguant que la molécule est bonne pour les plantes.

Un tweet de Maxime Bernier.

Agrandir l’image (Nouvelle fenêtre)

Maxime Bernier a souvent relayé cette information sur le CO2 sur ses réseaux sociaux.

Photo : Twitter

On détourne le fait que le CO2 contribue au fonctionnement des plantes pour dire qu’en fait, plus on envoie de CO2 dans l’atmosphère, plus c’est bénéfique pour les écosystèmes, illustre Julie Talbot, qui voit régulièrement passer cette affirmation fallacieuse sur le web.

C’est un exemple de résultat de recherche réel, soit que les plantes peuvent avoir une croissance améliorée quand il y a plus de CO2 disponible, sauf qu’on en fait un argument pour dire que les impacts négatifs de la diminution de nos émissions de GES seraient plus importants que les « supposés » impacts positifs.


D’autres pages qui propagent ces contenus ont pris l’habitude de se cacher sous des noms trompeurs, selon Jennie King. Leur nom peut donner l’impression qu’il s’agit de groupes communautaires, comme Energy Citizens ou encore Community Alliance for a Safe Future, donne-t-elle en exemple.

De la même manière, l’organisation canadienne Friends of Science, particulièrement active sur Twitter et Facebook, se décrit comme un groupe de scientifiques et d’ingénieurs spécialisés dans les sciences de la Terre, de l’atmosphère et du soleil qui concluent que le soleil est le vecteur principal du changement climatique. Or, Friends of Science compte sur le financement de l’industrie pétrolière et gazière, souligne l’ISD.

Une rhétorique de la division qui inquiète

Devant l’INGE du Parlement européen, la chercheuse a souligné que les faiblesses des plateformes numériques venaient alimenter et aggraver la diffusion de fausses informations sur le climat.

Cela permet à ces contenus de remonter à la surface et, dans de nombreux cas, de dominer le débat public sur la politique climatique à un moment où, comme nous presse le GIEC, la fenêtre pour agir se referme rapidement, a-t-elle plaidé.

Selon le dernier volet de Deny, Deceive, Delay paru en janvier dernier, 3 à 4 millions de dollars américains ont été dépensés par des entités liées aux énergies fossiles – des sociétés comme ExxonMobil et Chevron, des lobbys ou encore des équipes de relations publiques – sur Facebook et Instagram entre le 1er septembre et le 23 novembre 2022.

Non seulement les failles des plateformes de Meta, Twitter et Amazon sont continuellement exploitées par d’importants acteurs de l’industrie des combustibles fossiles, qui peuvent compter sur des revenus records pour financer ces campagnes de désinformation en ligne, mais aussi des internautes hostiles s’approprient la question climatique pour souffler sur les braises de la méfiance et de la division, a-t-elle estimé.

Ces campagnes, a-t-elle insisté, ont pour ultime dessein d’affaiblir les processus démocratiques.

« Cette tendance a pour effet de noyer des préoccupations légitimes sur le climat dans une masse d’affirmations sans fondement, de campagnes de diffamation et de propagande trompeuse, dont une grande partie provient de l’industrie des combustibles fossiles elle-même. »

— Une citation de  Jennie King, responsable de la recherche et des politiques en matière de climat à l’ISD

<

p class= »e-p »>Du même avis, David Chavalarias s’inquiète de voir ces communautés capitaliser sur les frustrations des uns et les doutes des autres pour alimenter la machine climatosceptique. En fait, on peut même penser que leur intérêt premier n’est pas de savoir si le réchauffement climatique est vrai ou pas. C’est plutôt de démobiliser les gens sur les questions climatiques, avance-t-il.

Si la tendance se poursuit, le risque est à la fois que la population soit de plus en plus divisée et qu’elle subisse de plein fouet les conséquences de l’inaction climatique, redoute le chercheur.

Les actions que nous devons mettre en œuvre vont fondamentalement changer les conditions dans lesquelles nous vivrons d’ici la fin du siècle, insiste de son côté Julie Talbot. S’il peut être rassurant de croire ceux qui déclarent qu’il n’est pas nécessaire de remettre en question nos modes de vie, poursuit-elle, cette stratégie ne fera que nous faire perdre un temps précieux.

Ça va influencer le soutien à des politiques qui doivent être mises en place maintenant, et donc la façon dont les gens vont aller voter, résume-t-elle. Et ça n’augure rien de bon.

À lire aussi :

Happy
Happy
0 %
Sad
Sad
0 %
Excited
Excited
0 %
Sleepy
Sleepy
0 %
Angry
Angry
0 %
Surprise
Surprise
0 %
Previous post Modernisation de la Loi sur les langues officielles : des francophones s’impatientent
Next post Kenya : 400 000 enfants vaccinés contre le paludisme

Average Rating

5 Star
0%
4 Star
0%
3 Star
0%
2 Star
0%
1 Star
0%

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :