Les hauts et les bas de la rénovation énergétique obligatoire en France

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Il existe un monde de différence entre le parc immobilier du Québec et celui de la France, tout comme il existe une mer d’écarts entre leur climats respectifs et leurs sources d’énergie.

Mais l’idée de forcer la main aux propriétaires des logements trop énergivores a bel et bien traversé l’Atlantique, si bien que le gouvernement du Québec travaille sur un projet de loi qui viserait d’abord à instaurer un système de cotation, puis de rénovation obligatoire, pour les bâtiments institutionnels et les tours à condos.

On sent que le Québec est très attentif à ce que nous faisons ici, dit Emmanuelle Cosse.

Mais, quoi qu’il en soit, il faut se donner les moyens de nos ambitions, prévient l’ancienne ministre du Logement de la France. Cette loi peut être une réussite totale ou un échec majeur, car pour faire cette révolution, il faut de l’argent pour la soutenir.

Révolution, car les mesures adoptées en France sont en train de bouleverser le monde de l’immobilier. Le gouvernement s’est en effet donné l’objectif plus qu’ambitieux de rénover 43 % du parc locatif d’ici 2034.

La France veut être le meilleur élève du monde avec une loi très stricte, explique Emmanuelle Cosse, que nous avons rencontrée sur le toit de l’immeuble où elle travaille, dans le 17e arrondissement de Paris, et d’où la vue spectaculaire illustre l’ampleur du défi.

Voyez les haussmanniens! La plupart des bâtiments datent d’avant d’avant 1945, et donc on a quand même un parc de logements qui est patrimonial, qui est centenaire et qui consomme trop.

Le parc immobilier est si vieux en France qu’il représente à lui seul plus de 40 % de la consommation d’énergie au pays et plus de 23 % des émissions de gaz à effet de serre.

Ça fait 15 ans qu’on dit qu’il faut rénover, explique Emmanuelle Cosse. Donc, on a mis un couperet, une obligation de faire les travaux, parce que les Français ont du mal à fonctionner autrement.

La rénovation énergétique est désormais obligatoire pour tout propriétaire qui veut louer un logement jugé trop énergivore, et ce, sous la bannière de la Loi climat et résilience dont la France s’est dotée pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Meriem Mabrouk utilise un outil gradué pour s'exécuter.

Meriem Mabrouk mesure l’épaisseur des fenêtres d’une passoire thermique.

Photo : Radio-Canada / Tamara Alteresco

En finir avec les passoires thermiques

Le diagnostic de performance énergétique (DPE) est l’outil de base de cette réforme majeure qui permet de classer de A à G les logements en fonction de leur efficacité énergétique.

Le principe en soi est aussi simple que l’alphabet.

Les logements qui portent l’étiquette G sont déjà considérés comme des passoires thermiques et seront interdits à la location dès le 1er janvier 2025. Les étiquettes F le seront à leur tour en 2028. Puis les étiquettes E en 2034.

C’est l’équivalent de 11 millions de maisons et d’appartements, y compris les HLM.

Tous les logements qui consomment plus de 450 kilowattheures d’énergie par mètre carré par an ne peuvent plus être loués, explique Meriem Mabrouk.

Elle est diagnostiqueuse immobilière et nous l’avons suivie dans le 11e arrondissement, où elle évaluait la performance énergétique d’un petit studio. Il lui faut une journée pour mesurer l’épaisseur des murs, vérifier la qualité de l’isolation et étudier les factures de chauffage et d’électricité.

Le DPE va bien au-delà des apparences, il tient compte de tous les équipements de chauffage ainsi que de la ventilation et de l’éclairage.

Meriem Mabrouk énumère les étapes : Est-ce que les murs laissent passer la chaleur ou pas? Est-ce que la chaleur s’échappe facilement?

Ici, par exemple, poursuit-elle, c’est une passoire thermique, on est vraiment dans une étiquette G et c’est très mauvais, dit-elle, en mesurant le simple vitrage.

La propriétaire devra le rénover au coût de 20 000 euros minimum, sans quoi elle ne pourra plus le louer en 2025.

C’est surtout bien pour le locataire parce que c’est lui qui devra payer les factures d’énergie. Donc c’est une mesure écologique mais économique aussi.

Un problème écologique et social

Vivre dans une passoire thermique est un enfer en été comme en hiver, explique Chantal Mabiala, qui habite avec ses quatre enfants dans un grand HLM de quatre chambres dans la banlieue précaire d’Aubervilliers.

Ça fait des mois qu’elle supplie son propriétaire de remédier aux problèmes criants de l’appartement.

Les murs sont comme du carton. C’est mal isolé, il fait froid; en hiver, on doit dormir avec plusieurs couvertures, même quand on chauffe, et je ne peux pas allumer le chauffage toute la journée parce que ça va revenir encore trop cher.

Chantal Mabiala, locataire d’un HLM.

Chantal Mabiala, locataire d’un HLM.

Photo : Radio-Canada / Tamara Alteresco

L’humidité ronge les murs et les nerfs de cette mère monoparentale qui appréhende l’hiver et la facture d’électricité qui monte en flèche avec la crise énergétique exacerbée par la guerre en Ukraine.

Pour Chantal, la rénovation écologique est une question de survie au quotidien.

Je ne pense pas qu’on puisse réussir à faire de l’écologie si on ne traite pas du social, c’est-à-dire que c’est intimement lié, dit Emmanuelle Cosse, qui est aujourd’hui présidente de l’Union sociale pour l’habitat, l’organisme qui gère les logements sociaux au pays.

Parce qu’avec des travaux bien faits, vous réduisez votre facture énergétique de manière considérable, mais vraiment considérable. Donc, c’est aussi protéger nos locataires, souligne-t-elle.

Tout le monde a conscience qu’il faut bouger. Maintenant, la vraie question, c’est : est-ce que j’ai du soutien financier pour le faire? Est-ce que les normes sont bien faites?

Incohérence et manque de fonds : le parcours du combattant

Il y a de l’aide, mais oui, je dois avouer, c’est très compliqué et ça peut décourager les gens, concède la diagnostiqueuse Meriem Mabrouk.

Les subventions mises de l’avant par le gouvernement pour aider les propriétaires à mener les travaux obligatoires sont intéressantes, mais les critères sont serrés et ne cessent de changer, explique Irma, la propriétaire du logement dans le 11e qui vient de recevoir l’étiquette G.

Il suffit de taper PrimRenov (le programme d’aide publique) sur un moteur de recherche pour comprendre que rien n’est simple au pays de la rénovation énergétique.

Certains vous diront même que c’est le parcours du combattant, du carcan administratif à des règles qui ne correspondent pas à la réalité du terrain en France.

Le problème, c’est que le gouvernement a mis en place des règles qui ne s’appliquent pas dans certaines villes.

En effet, on a fait la même norme pour tout type de bâtiment, donc on juge un immeuble des années 1970 de la même façon qu’un bâtiment qui a 100 ans, renchérit Emmanuelle Cosse.

Des incohérences qui freinent même les plus motivés de la rénovation verte, comme Christel Lagarde, que nous avons rencontrée à Rambouillet, dans la banlieue parisienne.

Elle était convaincue d’assurer ses vieux jours quand elle a investi en 2016 dans une petite maison à la façade de pierre qu’elle loue depuis à des étudiants.

On avait dépensé de l’argent pour qu’elle soit hyper bien isolée, on a tout rénové, dit-elle. Mais en vertu du nouveau calcul du DPE, son logement a écopé de la piètre note de G et d’une liste de travaux à faire qu’elle n’a pas le droit d’exécuter au nom de la protection du patrimoine ancien.

Je suis soumise à l’aval des architectes des Bâtiments de France : donc, pas le droit de pompe à chaleur, pas de cheminée sur le toit, pas de panneaux solaires, c’est un truc de fou.

Christel Lagarde regarde par une fenêtre.

Christel Lagarde ne pourra plus louer sa maison, car les travaux prescrits par le diagnostic de performance énergétique sont interdits au nom de la protection du patrimoine.

Photo : Radio-Canada / Tamara Alteresco

Elle concède que l’idée d’obliger les propriétaires à réduire la consommation d’énergie est tout à fait louable, mais elle reproche au gouvernement français de s’être lancé les yeux fermés dans une réforme insensée.

Christel ne pourra plus louer sa maison et se demande bien qui voudra l’acheter dans les circonstances.

Son cas est loin d’être isolé.

Et il n’y a pas que moi, nous sommes nombreux, dit-elle en consultant des pages Facebook où des propriétaires exaspérés déversent leurs doléances et tentent d’organiser la résistance pour exiger des exemptions ou des changements à la loi qui, malgré toutes ses bonnes intentions, prive le marché locatif de logements abordables.

Exacerber la crise du logement

C’est un effet pervers de la loi que personne n’avait anticipé, confirme Emmanuelle Cosse.

Vous allez sur un site de location de logements, juste dans Paris, vous tapez un quartier. Vous regardez combien de logements par rapport à vos revenus sont disponibles. Vous verrez qu’il n’y en a pas, affirme Emmanuelle Cosse. Pourquoi? Parce que les propriétaires ont peur que les locataires se retournent contre eux. Ils ont peur de ne pas arriver à faire les travaux dans les temps, donc on manque de logements locatifs partout, et ça, on ne l’avait pas anticipé du tout.

Une enquête menée par la plateforme SeLoger.com confirme que la mise en vente de logements classés F et G a presque doublé depuis l’entrée en vigueur de la loi.

Il aura fallu en arriver là pour que le gouvernement de la France remette la main à la poche et annonce au mois de juillet une bonification des aides accordées pour la rénovation énergétique. Soit 7 milliards de dollars supplémentaires en 2024, dans l’espoir d’accélérer la cadence.

Mais pas question de changer le calendrier.

Moi, j’aime la loi française, parce qu’elle ne donne pas le choix et on n’a plus le temps d’avoir le choix, dit Mathieu Mouflet, un jeune entrepreneur et cofondateur de Toltek, une petite start-up qui s’est donné la mission d’encourager l’achat de passoires thermiques à des fins de location.

Notre rôle, c’est d’activer cette économie circulaire, c’est de le remettre rapidement sur le marché. Et d’accompagner les propriétaires qui n’ont pas les moyens de rénover. C’est une vocation sociale et environnementale.

C’est d’ailleurs avec l’aide de l’entreprise Toltek qu’Irma a décidé d’acheter la passoire thermique du 11e arrondissement en toute connaissance de cause. Elle y voit une opportunité d’affaires et l’occasion de contribuer au grand projet environnemental de la France.

Il est encore trop tôt pour faire des bilans, dit Emmanuelle Cosse, mais elle note déjà que, dans le secteur des HLM, les bailleurs ont doublé le rythme de la rénovation.

La loi française est encore loin d’être parfaite ou même exemplaire, mais elle est nécessaire, dit l’ancienne ministre du Logement.

Il faudra se donner rendez-vous dans trois ans pour voir comment ça se passe ici. Je peux vous dire que c’est très difficile, mais il ne faut surtout pas reculer.

Source :Radio Canada

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