
Trouver quelqu’un à qui parler
Comme la langue française, la langue japonaise a un mot pour désigner la solitude, kodoku, mais elle n’en a pas pour désigner spécifiquement l’état de quelqu’un qui se sent seul. Ce que les anglophones appellent loneliness.
La question peut sembler sémantique, mais elle m’a rapidement heurté dans mes lectures et entretiens en préparation de mon périple au Japon. En ne me concentrant que sur les hikikomoris, ces jeunes qui s’enferment dans leurs chambres durant des années, j’avais l’impression de passer à côté d’une partie du problème.
Cette erreur est aussi celle que fait trop souvent le gouvernement japonais, estime Koki Ozora. Toutes les politiques publiques se concentrent sur l’isolement, mais la plupart des gens qui se sentent seuls ne sont pas isolés. Ils ont des gens autour d’eux, mais des gens à qui ils n’arrivent pas à parler ou à demander de l’aide.
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p class= »e-p »>Le jeune fondateur d’Anato no Ibasho en sait quelque chose. Adolescent, il a lui-même tenté de s’enlever la vie.
Après le divorce de ses parents, il s’est retrouvé à Tokyo avec sa mère et son nouveau mari, me raconte-t-il d’une voix douce. Ils avaient leur propre vie dans laquelle je n’avais pas de place. Je ne connaissais personne à Tokyo. Je n’avais pas d’ami. Partager un repas avec ma mère et son mari, je n’ai jamais connu ça.
Pendant un temps, Koki a réussi à se convaincre qu’il aimait être seul. Il a appris à refouler ses problèmes, ses angoisses.
Mais lorsque sa mère malade s’est divorcée à nouveau à la fin de son adolescence, le fils s’est retrouvé avec le fardeau de la faire vivre. Ses trois emplois à temps partiel l’empêchaient d’aller à l’école. Sa mère ne lui adressait la parole que pour déverser sa colère.
Koki a décidé de mettre fin à ses jours, mais avant de passer à l’acte, il a voulu prévenir un professeur qui l’avait pris sous son aile un an plus tôt. Il lui a écrit pour lui dire qu’on ne le reverrait plus jamais à l’école.
Ce professeur s’est présenté chez moi dès qu’il a reçu le courriel. Il m’a parlé de lui, des difficultés et de la détresse qu’il avait lui-même ressenties plus jeune. Il s’est simplement ouvert à moi et j’ai eu envie d’en faire autant. Pour la première fois, j’avais quelqu’un à qui je pouvais tout dire, à qui je pouvais me confier quand je n’allais pas bien
, raconte Koki Ozora.
J’ai réalisé à ce moment-là que c’était un miracle d’avoir quelqu’un à qui l’on peut parler, mais ça ne devrait pas l’être.