
Un « frère à louer » pour sortir
L’organisme communautaire New Start, en banlieue de Tokyo, a justement comme mission d’aider les hikikomoris à réintégrer la société. C’est le cas depuis le début des années 1990, alors que l’on appelait encore ces gens de jeunes égarés
.
Mary Kuze, qui m’a proposé de venir la rejoindre à la fin de sa journée de travail, n’a pas de titre d’emploi officiel à New Start. Ses collègues et elles travaillent sur un pied d’égalité, faisant un peu de tout.
Elle m’invite à m’asseoir avec elle à une grande table au centre de leur local, une ancienne clinique médicale à aire ouverte où les multiples bureaux, babillards, classeurs et fauteuils forment un espace de travail en courtepointe.
Ce sont généralement les parents de jeunes adultes hikikomoris qui contactent l’organisme pour recevoir de l’aide, m’explique Mary. De là s’enclenche un programme en quatre étapes où entrent en scène des frères et sœurs à louer
.
Le concept peut paraître particulier, mais l’idée de payer quelqu’un pour simplement passer du temps avec soi n’est pas si exceptionnelle à Tokyo.
Sur Internet, on trouve facilement des hommes d’âge mûr ou des jeunes étudiants offrant leurs services d’amis
. En échange d’un salaire horaire, vous aurez de la compagnie platonique pour magasiner, faire une promenade ou discuter en buvant un thé.
Ceux qui sont prêts à débourser davantage peuvent même faire affaire avec des entreprises offrant des familles à louer. Un vieil homme d’affaires seul peut ainsi aller souper avec sa femme et ses deux enfants. Excepté que le trio est rémunéré et n’a, dans les faits, aucun lien de parenté avec lui.
À New Start, le service de location
a un objectif plus concret. Kenji, un collègue de Mary qui est venu se joindre à la conversation, agit comme frère à louer
depuis une vingtaine d’années. Il m’explique que le premier contact avec le jeune hikikomori se fait par écrit. Il ne faut surtout pas le bombarder de questions ou tenter de devenir son ami. Il risquerait de se braquer.
Kenji, 48 ans, commence par parler de lui jusqu’à ce que le jeune ait envie de répondre et, au bout d’un certain temps, de discuter au téléphone. C’est la deuxième étape.
La troisième est de se rencontrer en personne à l’occasion. Les frères et sœurs à louer reçoivent une petite formation en amont, mais on ne souhaite pas qu’ils deviennent des thérapeutes. Les discussions doivent être les plus naturelles possibles.
Kenji me dit que les hikikomoris veulent être aidés, mais leur carapace est difficile à percer. La société japonaise demande de l’homogénéité. Elle n’accepte pas facilement la différence. Ils ont du mal à s’assumer, à être eux-mêmes
, ajoute-t-il.
Il décrit le temps passé avec ses clients comme une improvisation jazz. Il n’y a pas de partition, on se fie à ce qu’on ressent. Il faut parfois les écouter, parfois les consoler, parfois les confronter. Comme un frère le ferait.
Si tout se passe bien, l’hikikomori acceptera plus tard de déménager dans le dortoir
de New Start. À deux coins de rue des bureaux dans lesquels nous nous trouvons, des jeunes en voie de réintégrer la société cohabitent dans un petit édifice de trois étages.
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p class= »e-p »>Ils ont chacun leur chambre, mais partagent une cuisine et un salon. N’ayant pas le droit d’avoir de téléphone intelligent, ils ne peuvent écouter la télévision que dans une salle commune. Plus tard, on leur demandera de faire du bénévolat dans de petits commerces du coin.
Le dortoir est la quatrième et dernière étape du programme offert par New Start. Plus du trois quarts des jeunes aidés par l’organisme retrouvent leur autonomie, affirme Mary Kuze.
C’est un peu comme réapprendre à vivre
, fais-je remarquer.
Réapprendre, je ne suis pas sûr. Je pense que certains n’ont jamais appris
, intervient Kenji.
Il est bien placé pour le savoir. Il est lui-même passé par le dortoir.