Une fois que le conflit se sera apaisé au Proche-Orient, les États-Unis veulent que le contrôle de la bande de Gaza soit confié à l’Autorité palestinienne. Ce plan ne fait toutefois pas l’unanimité chez les Palestiniens et est critiqué par des experts.
Dans l’optique d’une solution à deux États
, le président américain Joe Biden a récemment affirmé, dans un billet publié dans le Washington Post, que « Gaza et la Cisjordanie devraient être réunies dans une même structure de gouvernance » dirigée par l’Autorité palestinienne.
Son secrétaire d’État, Antony Blinken, tient le même discours, et semble même en faire une condition essentielle à une sortie de crise.
L’activiste palestinien pour les droits humains Issa Amro est loin d’être convaincu que cette option est souhaitable.
Le principal problème avec l’Autorité palestinienne, c’est la corruption. Beaucoup de corruption, pas d’élections ni de démocratie, et des violations des droits humains
, a-t-il expliqué en entrevue à CBC.

Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas en compagnie du secrétaire d’État américain Antony Blinken.
Photo : Associated Press / Jonathan Ernst
Plusieurs Palestiniens de la Cisjordanie, qui est gouvernée par l’Autorité palestinienne depuis plus de 30 ans, partagent l’avis d’Issa Amro.
Malgré tout, les États-Unis et d’autres pays estiment qu’elle est l’alternative tout indiquée au Hamas dans la bande de Gaza.
Un parti affaibli
Parce que l’Autorité palestinienne est accusée par plusieurs d’être autocratique, corrompue et inefficace, des experts du Proche-Orient se demandent quel rôle elle pourrait bien jouer dans la bande de Gaza après le conflit.
Sa capacité à gouverner en Cisjordanie, que ce soit pour des enjeux de sécurité ou pour des questions civiles, est très limitée
, explique Ghaith al-Omari, du Washington Institute for Near East Policy.
Alors si elle ne peut pas gouverner la Cisjordanie, peut-on s’attendre à ce qu’elle gouverne Gaza?
se questionne-t-il.
L’Autorité palestinienne a été établie en 1990 avec les accords de paix d’Oslo. Elle s’est vue confier le contrôle de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, et l’administration des services de santé, d’éducation et de sécurité. Le Hamas a pris le contrôle de Gaza en 2007 après une victoire écrasante aux élections législatives.

Des partisans du Hamas lors d’un récente manifestation en soutien à la bande de Gaza.
Photo : (Hazem Bader/AFP/Getty Images)
Selon Ghaith al-Omari, le soutien au Hamas est venu en partie du mécontentement des Palestiniens à l’égard de l’Autorité palestinienne. On dénonçait son style autoritaire, sa manière de distribuer les emplois en échange de faveurs et son utilisation des fonds publics pour enrichir ses représentants.
Imad Harb, directeur de recherche et analyste au Arab Center Washington D.C., doute que l’Autorité palestinienne ait aujourd’hui la légitimité nécessaire pour diriger la bande de Gaza.
Vous n’avez pas fourni les services en Cisjordanie alors pourquoi on vous ferait confiance pour fournir les services à Gaza?
, dit-il pour exprimer le point de vue de nombreux Palestiniens.
Vous n’avez pas fournir la sécurité et la protection au peuple palestinien en Cisjordanie, alors pourquoi on vous ferait confiance à Gaza?
La capacité de l’Autorité palestinienne à gérer l’après-guerre à Gaza est aussi remise en question compte tenu des problèmes internes du parti et de l’étendue de la dévastation dans ce territoire dont il est absent depuis 16 ans.

Cible d’attaques constantes de l’armée israélienne depuis le 7 octobre, la bande de Gaza est aujourd’hui une zone dévastée.
Photo : Getty Images / Ahmad Hasaballah
Avec des infrastructures complètement détruites et plus de 70 % de la population qui est déplacée, les défis du prochain gouvernement à Gaza seront immenses, estime Dov Waxman, directeur du UCLA Y&S Nazarian Center for Israel Studies, en Californie.
Considérant les capacités de l’Autorité palestinienne, il faut se demander si elle peut accomplir une tâche de cette ampleur
, dit M. Waxman.
Nécessaire à la sécurité d’Israël
Un autre élément qui mine l’Autorité palestinienne dans la population est sa relation avec les forces de défense israéliennes et sa proximité avec le gouvernement israélien, soutient al Omari.
L’armée et les services d’intelligence israéliens sont les grands conseillers de l’Autorité palestinienne à l’intérieur du système israélien, car ils le voient comme un partenaire. Ils le voient [l’Autorité palestinienne] comme essentiel à la sécurité d’Israël.
Le mécontentement populaire à l’égard de l’Autorité palestinienne a mené à l’érosion des appuis à l’endroit de son chef, Mahmoud Abbas. Selon un récent sondage, près de 80 % des Palestiniens souhaitent sa démission.
Âgé de 88 ans, Mahmoud Abbas est arrivé au pouvoir en 2005. Aucune élection présidentielle n’a eu lieu depuis.
L’obstacle israélien
Un autre obstacle important au nouveau plan de gouvernance pour la bande de Gaza est le gouvernement israélien, qui est réticent à voir l’Autorité palestinienne étendre son influence dans la région, indique Dov Waxman, du UCLA Y&S Nazarian Center for Israel Studies.
Il explique que le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou travaille depuis des années à déconnecter la bande de Gaza et la Cisjordanie. Pour lui, l’Autorité palestinienne n’est qu’un ennemi de plus.

Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.
Photo : Reuters
La reprise de la bande de Gaza par l’Autorité palestinienne signifierait la réunification du territoire palestinien. C’est quelque chose qui va à l’encontre de la politique que Nétanyahou défend depuis plus de 10 ans. Je ne vois pas Nétanyahou changer de cap là-dessus
, estime Dov Waxman.
Selon lui, les ultranationalistes du gouvernement de Nétanyahou feront tout pour empêcher un renforcement de la position de l’Autorité palestinienne dans la région.
– À partir du reportage Mark Gollom, de CBC