
Personne n’est certain de ce qui se passera après jeudi. Le gouvernement fédéral s’attend à recevoir jusqu’à 13 000 migrants par jour immédiatement après l’expiration de la mesure, contre environ 6000 lors d’une journée normale.
Le « Title 42 » fait référence à la clause 42 du code gouvernemental américain, établi le 1er juillet 1944. C’est une loi qui confère aux autorités fédérales le pouvoir d’interdire l’entrée de personnes et de produits au pays afin de limiter la propagation d’une maladie transmissible.
C’est donc cette fameuse clause que l’administration Trump a invoquée en mars 2020, au début de la pandémie, pour limiter l’entrée et la réception de demandes d’immigration.
Son objectif consistait à interdire aux agences de contrôle des frontières de détenir des migrants dans des lieux de rassemblement
comme les centres de rétention, où le virus de la COVID-19 pouvait se propager rapidement.
Dans les faits, cependant, la clause 42 donnait au gouvernement le pouvoir d’expulser rapidement n’importe quel migrant sans lui donner la possibilité de présenter des arguments en faveur d’un séjour légal aux États-Unis, y compris le fait de demander l’asile.
L’administration de Joe Biden a ensuite continué à utiliser les expulsions en vertu du Title 42
comme méthode de contrôle des frontières.
Clause contestée
Le 19 décembre dernier, la Cour suprême des États-Unis a bloqué un projet de l’administration Biden destiné à lever les restrictions du Title 42
le 21 décembre, comme l’avait ordonné une juridiction inférieure.
Quelques jours plus tard, le plus haut tribunal du pays a accepté d’entendre en février les arguments sur la question, à savoir si 19 États dirigés par des élus républicains, dont le Texas, pouvaient contester la décision d’une juridiction inférieure qui avait ordonné à l’administration Biden de lever les restrictions du Title 42
.
Cependant, la Cour suprême a annulé sa révision du dossier en février dernier après que la Maison-Blanche eut déclaré qu’elle mettrait fin à l’ordonnance d’urgence COVID-19 du pays, ce qui, à toutes fins utiles, mettait un terme à l’autorité d’expulsion en vertu de la clause 42 à compter du 11 mai 2023.
Quels ont été les impacts?
Depuis le début de la politique de la clause 42, la patrouille frontalière aurait procédé à 2,8 millions expulsions de migrants, selon le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis.
Puisque le fait de contourner la procédure d’asile et de renvoyer les migrants au Mexique juste après leur arrivée aux États-Unis n’a pas de répercussions pour ceux qui essaient de traverser la frontière, le nombre de récidivistes est particulièrement élevé et contribue donc à cet imposant chiffre de 2,8 millions de renvois.
Que se passera-t-il après le 11 mai?
Les agents de la patrouille frontalière devraient recommencer à utiliser à nouveau la clause 8 (Title 8), qui existe depuis 83 ans aux États-Unis, pour traiter les dossiers des migrants.
Cette clause permet à la patrouille frontalière de traiter et d’expulser les migrants qui n’ont pas de base légale pour rester aux États-Unis et qui ne peuvent pas être expulsés en vertu de la clause 42.
Avant la pandémie, la clause 8 était la principale ressource dont disposaient les autorités responsables en matière d’immigration pour décider de retenir une personne à la frontière ou de la libérer avec un permis pour demander l’asile ou pour invoquer des raisons humanitaires.
La clause 8 prévoit cependant des sanctions aux lourdes conséquences pour les migrants renvoyés en cas d’entrée illégale, notamment une interdiction de réadmission pendant au moins cinq ans et des poursuites pénales potentielles en cas de tentatives répétées d’entrer illégalement sur le territoire américain.
Le retour de l’application de la clause 8 devrait réduire le nombre de franchissements répétés de la frontière, qui a augmenté de manière considérable pendant l’application de la clause 42.
Cette clause prévoit toutefois des exceptions pour les personnes qui appartiennent à des populations vulnérables, par exemple celles qui font état d’une crainte crédible de persécution. Elles pourraient comparaître devant un juge, qui décidera alors si elles peuvent rester aux États-Unis ou non.
Comment contenir le flux de migrants?
L’administration Biden a décidé d’envoyer 1500 soldats pendant 90 jours à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Au total, 4000 militaires sont mandatés pour aider les autorités frontalières à accomplir diverses tâches non liées à l’application de la loi.
Cette mesure ne fait pas l’unanimité au sein des démocrates, certains déplorant que le président Biden ait décidé de militariser la frontière avec le Mexique.
Pendant ce temps, les États-Unis ont ouvert de nouveaux centres de traitement des demandes en Colombie et au Guatemala, ce qui permettra aux migrants d’être présélectionnés par des voies légales, telles que le statut de demandeur d’asile ou de réfugié, avant d’aller grossir les rangs de la population à la frontière.
Alejandro Mayorkas, responsable de la Sécurité intérieure, a déclaré dans un communiqué que son département traiterait les migrants selon la procédure standard
, c’est-à-dire en les soumettant à une procédure d’expulsion.
On ne sait pas encore exactement comment les demandeurs d’asile et les autres migrants seront traités une fois que les expulsions prévues par la clause 42 auront pris fin.
Dossier politique délicat
En attendant, les républicains, qui sont majoritaires à la Chambre des représentants, prévoient organiser un vote sur la nouvelle loi Secure the Border Act of 2023
la semaine prochaine. Le projet de loi rétablirait plusieurs des politiques frontalières les plus controversées de l’ex-président Trump.
Kyrsten Sinema, sénatrice démocrate de l’Arizona, et son collègue républicain de la Caroline du Nord, Thom Tillis, travaillent actuellement sur un projet de loi qui accorderait une autorisation temporaire de deux ans pour continuer à expulser les migrants des États-Unis, donc avec des pouvoirs similaires à ceux conférés par la clause 42.
Par ailleurs, dès jeudi, les républicains ont l’intention de faire adopter un projet de loi, connu sous le nom de HR 2, qui codifierait certains des programmes frontaliers mis en œuvre par l’ex-président Donald Trump, notamment la politique qui exigeait que les migrants restent au Mexique tout en suivant la procédure d’asile.
Il prévoit également consacrer davantage de ressources à la sécurité de la frontière, relancer la construction du mur entre les deux États, accroître le personnel frontalier et moderniser la technologie frontalière.
Il reste que depuis les 40 dernières années, ni les républicains ni les démocrates n’ont offert de réforme en profondeur des politiques d’immigration aux États-Unis.
Et le Mexique dans tout ça?
De son côté, le Mexique a accepté d’accueillir des migrants du Venezuela, du Nicaragua, de Cuba et d’Haïti en vertu de l’ancienne clause dans le cadre des nouvelles procédures de libération conditionnelle mises en œuvre par l’administration Biden au début de l’année et dont on a beaucoup vanté les mérites.
Ces politiques ont entraîné une baisse significative du nombre de franchissements illégaux de la frontière par les ressortissants de ces quatre pays.
Toutefois, malgré les pourparlers en cours avec les États-Unis, il n’est pas certain que le Mexique accepte de continuer à accueillir les non-Mexicains rejetés par les États-Unis sans le mécanisme de la clause 42.