La mort, omniprésente à Jénine

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La poussière soulevée par leurs bulldozers retombait à l’aube quand l’armée israélienne a annoncé vendredi avoir tué au moins « cinq terroristes » à Jénine. Des affrontements ont régulièrement lieu dans cette ville au nord de la Cisjordanie, en particulier dans le camp de réfugiés que l’on surnomme « la petite Gaza ».

Ce camp est un haut lieu de la résistance palestinienne et l’armée israélienne y effectue des incursions fréquentes. Depuis le début du conflit, plus de 40 personnes y ont été tuées, des combattants et des civils.

Il n’y a plus de grande arche pour marquer l’entrée du camp. L’armée israélienne l’a détruite, tout comme le monument qui ornait le centre d’un rond-point devant l’hôpital. Les routes sont défoncées et le gravats bloque le passage des voitures.

Un homme et deux femmes marchent dans une rue à côté d'un immeuble en ruines.

La destruction est partout à Jénine.

Photo : Radio-Canada / Marie-Ève Bédard

Ici, les jeunes hommes appartenant aux différentes factions armées palestiniennes font la loi. On les croise partout, aux détours des rues étroites.

De grandes bâches ont été suspendues entre les maisons pour les protéger des drones israéliens qui bourdonnent constamment au-dessus du camp.

Dans le camp de Jénine, ce sont les morts plus que les vivants qui racontent un quotidien de violence.

Les affiches qui les érigent au rang de martyrs sont partout. Leurs jeunes visages vous sourient. Ils ont l’arme lourde à la main. Ils ont trouvé la mort dans la violence. Des héros de la résistance pour leurs voisins.

Une affiche présentant quatre hommes armés.

Une affiche présentant en martyrs de jeunes hommes morts au combat.

Photo : Radio-Canada / Marie-Ève Bédard

Devant son petit commerce, Nour Amir Anteer fume une cigarette pour tromper l’ennui. Il salue tous ceux qui passent, arme à la main ou pas.

Nous soutenons notre résistance, dit-il. S’ils nous demandent nos yeux, nous allons leur donner parce que c’est notre terre.

Les ancêtres du jeune homme de 25 ans se sont retrouvés ici après avoir été déplacés de force par la guerre israélo-arabe de 1948. Le souvenir de la Nakba, la catastrophe en arabe, est inscrit sur les murs des maisons qui l’entourent et coule dans ses veines.

Nous ne ferons pas l’erreur de nos ancêtres. Ils ont quitté leurs terres, mais pas nous. La Palestine est à nous, toutes les terres de 1948 sont à nous. Jérusalem aussi , déclare-t-il.

À quelques dizaines de mètres de son commerce, deux maisons ont été détruites par des tirs de l’armée israélienne.

Une maison sans dessus dessous.

La maison d’Abu Tarek a été frappée par deux missiles israéliens il y a une semaine.

Photo : Radio-Canada / Marie-Ève Bédard

C’était il y a une semaine, raconte Abou Tarek, le propriétaire de l’une d’elles. Sa femme, ses enfants et ses petits enfants étaient à l’intérieur quand les soldats sont arrivés dans le quartier. Il n’a pas pu les rejoindre.

Ils ont crié dans un porte-voix aux hommes armés de sortir de la maison, mais ils n’ont pas spécifié de quelle maison il s’agissait. Nous n’avions personne d’armé dans la nôtre.

Des hommes armés affrontaient bien les soldats d’Israël. La maison d’Abu Tarek a été frappée par deux missiles, raconte-t-il, montrant ce qui reste des projectiles.

Des voisins venus les aider à nettoyer les débris de sa maison confirment sa version des faits.

Un homme tient un débris dans sa main gauche.

Abu Tarek tient un bout de débris retrouvé dans sa maison.

Photo : Radio-Canada / Marie-Ève Bédard

Tous ces dommages, cette destruction, ce n’est rien tant que tout le monde chez moi est sorti en vie et sans blessure, dit-il.

Quatorze Palestiniens ont été tués ce jour-là, selon le ministère de la Santé palestinien. La majorité dans la jeune vingtaine. Le plus jeune avait 15 ans.

Depuis le 7 octobre dernier, l’armée israélienne a intensifié ses opérations en Cisjordanie occupée. Tous les soirs ou presque, ses soldats procèdent à des arrestations.

Abou Al-Ezz, un nom de guerre, commande une brigade qui revendique une appartenance au Hamas. Il rejette l’étiquette de terroriste que lui colle l’armée israélienne.

Je suis un soldat et j’en suis fier, c’est ma plus grande fierté. Il y a des gens qui ne combattent pas. Certains ne peuvent pas, mais à l’intérieur ils brûlent d’un désir de se battre avec la résistance, soutient-il.

Un soldat de dos dans une rue déserte.

Abou Al-Ezz, un nom de guerre, commande une brigade qui revendique une appartenance au Hamas.

Photo : Radio-Canada / Marie-Ève Bédard

Abou Al-Ezz a 32 ans. La première fois qu’il a lancé des pierres sur les chars d’assaut israéliens, il en avait 12. Il est passé des pierres aux cocktails Molotov, puis aux armes et aux explosifs.

L’armée israélienne viendra et va nous tuer. Que l’on porte une arme ou pas, le but de l’occupation, c’est de tuer des Palestiniens. Si on porte une arme ou pas, c’est la même chose pour eux, estime-t-il.

Il évoque en preuve les milliers de civils, hommes, femmes et enfants qui sont tués à Gaza depuis le 7 octobre dernier. L’armée israélienne affirme tout mettre en œuvre pour éviter les morts civiles. Lui n’en croit rien.

Quant aux 1200 morts israéliens, dont une majorité importante de civils assassinés par le Hamas et d’autres groupes armés, ils sont pour lui une source de fierté.

Le cycle de la peur a été brisé et, maintenant, on sait qu’on est en mesure de se battre et de se défendre. Je pense que ça nous a donné la motivation. Des centaines de fois, je suis prêt à être coupé en morceaux pour libérer Jérusalem, pour libérer les prisonniers et défendre notre religion et notre patrie, affirme-t-il.

Il se dit prêt à rejoindre les morts qui s’accumulent sur un terrain vague transformé en cimetière, faute de place. La terre fraîchement retournée est prête à accueillir les prochains.

Depuis la caisse enregistreuse de son supermarché, Abou Ali a une vue prenante sur le nouveau cimetière.

Un homme parle avec les deux mains devant lui. Il est dans une allée d'épicerie.

Malgré tout, Abou Ali croit encore à la paix et à la cohabitation.

Photo : Radio-Canada / Marie-Ève Bédard

Lui est d’une autre génération, celle qui a connu des petits moments de grâce dans la banalité d’un quotidien fait de rencontres et d’échanges avec les voisins israéliens. Il croit encore malgré tout à la paix et à la cohabitation.

Si je m’assois avec un Israélien, si on se parle, on peut vivre [ensemble]. Mais allez parler avec un politicien ou un président, ils vous diront non. Les politiciens et les dirigeants veulent des postes, des positions. Ils ne veulent pas que la population soit en paix sans l’ombre de la guerre, des injustices et des meurtres, pense-t-il.

Mais la jeunesse du camp de Jénine donne à croire que l’espoir du vieil homme pourrait disparaître avec lui.

Trois jeunes garçons autour d'une moto.

Des jeunes du camp de Jénine.

Photo : Radio-Canada / Marie-Ève Bédard

Mahmoud vient de perdre deux amis. Il est venu se recueillir sur leurs tombes Ils étaient frères, ils portaient les armes, ils sont morts à quelque jours d’intervalle.

Je ne veux pas la paix. Pourquoi? Parce qu’ils nous occupent et nous attaquent. Pourquoi je voudrais faire la paix avec eux?

Dans la mort, ses amis lui ont donné un sentiment de fierté, dit de Mahmoud, en quittant avec sa motocyclette. Une fierté, et la certitude qu’il doit à son tour porter les armes au nom de sa terre et de sa religion, jusqu’à la mort.

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Source :Radio Canada

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