
Après trois ans de pandémie, le voile commence à se lever sur le « mystère » de la COVID longue, un syndrome causant des symptômes chroniques et parfois invalidants après une infection au SRAS-CoV-2. Explications et témoignages.
Selon le Dr David Putrino, la COVID longue n’est plus juste une théorie. « Il y a tellement de bonnes études publiées dans diverses revues scientifiques qui montrent clairement les différences physiologiques entre les personnes atteintes et celles qui ne le sont pas. Nous savons qu’il s’agit d’une maladie physiologique », affirme ce neuroscientifique et physiothérapeute du Mount Sinai Hospital, à New York.
Le SRAS-CoV-2 est un virus « insidieux », ajoute cet expert qui traite la COVID longue depuis trois ans. « Une pandémie dans l’ombre. »
À l’échelle mondiale, on estime que de 10 % à 20 % des personnes infectées par le SRAS-CoV-2 ont des symptômes persistants. Ainsi, au moins 65 millions de personnes dans le monde seraient aux prises avec ce syndrome caractérisé par la présence de symptômes au-delà de 12 semaines après une infection à la COVID-19.
« Même si on voulait ignorer la COVID longue, on ne peut pas parce que ça touche un nombre trop élevé de personnes. On ne peut pas faire taire ces millions de personnes; elles veulent toutes des réponses. »
D’une hypothèse à une autre
Si les chercheurs n’ont pas encore établi avec certitude les mécanismes biologiques sous-jacents, il existe quelques hypothèses, qui ont été décrites dans une récente étude dans la revue Nature par des chercheurs de l’Institut Scripps Research, en Californie, aux États-Unis.
« La maladie peut sembler très différente selon les personnes, mais elles ont une chose en commun : la réduction de la qualité de vie après une infection à la COVID-19 », explique Julia Moore Vogel, une spécialiste des essais cliniques et coauteure de cette méta-analyse qui a recensé plus de 200 études. Elle souffre elle-même de brouillard cérébral et de fatigue extrême à cause de la COVID longue depuis juillet 2020.

L’une des principales hypothèses est celle de la persistance virale. Les chercheurs ont observé chez une majorité de personnes atteintes de la COVID longue que des fragments du virus se « cachent » dans plusieurs organes, comme dans l’intestin, les poumons et le cerveau, longtemps après l’infection.
« Une étude montre la présence de particules du SRAS-CoV-2 dans le plasma jusqu’à 12 mois après une infection », précise la Dre Emilia Falcone, directrice de l’Unité de recherche en microbiome et défenses mucosales à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) et infectiologue au CHUM.
Le virus n’est jamais complètement évacué du corps et ces particules virales provoquent de l’inflammation dans les organes où il se cache, explique le Dr Putrino.
Par exemple, souligne Mme Vogel, la présence de fragments du virus dans le cerveau pourrait expliquer pourquoi autant de personnes, comme elle, ont des symptômes neurologiques.

Autre hypothèse : le SRAS-CoV-2 provoque un dérèglement du système immunitaire. L’inflammation déclenchée pour combattre l’infection n’aurait jamais arrêté, explique Stéphanie Longet, chercheuse à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale à Lyon, qui étudie le SRAS-CoV-2 et les vaccins intranasaux. Cette immunologue vit avec des douleurs aux jambes depuis son infection en juin 2022.
Des recherches ont notamment révélé que les patients avec des symptômes persistants avaient des anticorps normalement associés à des maladies auto-immunes et des niveaux élevés de cytokines (des protéines qui peuvent déclencher une inflammation).
« Avec une maladie auto-immune, on génère une réaction contre soi-même », explique la Dre Falcone.
La COVID-19 semble donc avoir créé un déséquilibre à plusieurs niveaux.
Un dérèglement du système nerveux autonome expliquerait peut-être pourquoi de nombreuses personnes développent une dysautonomie, qui entraîne des étourdissements, une accélération du rythme cardiaque, une pression artérielle élevée ou basse et des troubles intestinaux.
Chez certains patients, on a observé la réactivation de virus en dormance dans le corps, comme l’Epstein-Barr (responsable de la mononucléose) ou l’herpès. « Ces virus seraient réactivés parce que le système immunitaire est plus vulnérable après une infection », indique le Dr Putrino. Cette réactivation cause de l’inflammation.

Autre hypothèse, dans le même ordre d’idées : une perturbation du microbiote pourrait être en cause. « On sait que dans le cas de plusieurs autres maladies, il y a une perturbation de la communauté microbienne, surtout dans le microbiote intestinal, et on peut avoir de l’inflammation », explique la Dre Falcone. Certaines études montrent que cette perturbation dure au moins 10 mois après une infection à la COVID-19.
Aussi : la COVID-19 semble enflammer l’endothélium, la couche interne des vaisseaux sanguins. Cela mènerait à la formation de micro-caillots sanguins, à la dégradation de la paroi de certains vaisseaux et à l’inflammation.

Des chercheurs croient aussi que les micro-caillots auraient un impact sur la circulation du sang et provoqueraient de petits accidents vasculaires cérébraux, expliquant ainsi certains symptômes neurologiques.
Il n’y a pas qu’une COVID longue
Chez une même personne, un ou plusieurs de ces mécanismes biologiques pourraient être en cause, affirme la Dre Falcone.
C’est pourquoi le Dr Putrino estime qu’on ne peut plus parler d’un seul type de COVID longue.
« Ce n’est pas seulement une maladie. C’est plutôt une catégorie de maladies et d’affections chroniques causées par une infection au SRAS-CoV-2. »
— Dr David Putrino, neuroscientifique et physiothérapeute du Mount Sinai Hospital
Mme Vogel abonde dans le même sens. « Pour l’instant, on associe toutes ces personnes parce qu’elles ont un élément en commun : une infection à la COVID-19. Il faudra peut-être commencer à trier ces personnes en fonction du mécanisme biologique. »
L’hétérogénéité des mécanismes non seulement complique la tâche des chercheurs, mais expliquerait aussi pourquoi il existe quelque 200 symptômes, dont la sévérité varie.
La majorité des personnes vivent une fatigue extrême et plusieurs subissent des malaises post-effort, un genre de crash d’énergie. Le brouillard cérébral, le manque de concentration et la perte de mémoire sont aussi des symptômes fréquents.
Certaines personnes développent des affections et syndromes comme le syndrome de tachycardie orthostatique posturale (POTS), caractérisé par des étourdissements et des palpitations lorsqu’une personne est en position redressée. D’autres développent de la dysautonomie, qui provoque des palpitations, des hausses ou des chutes de pression, des étourdissements et des problèmes gastriques.
Les symptômes apparaissent souvent de façon irrégulière ou épisodique. L’activité physique, le stress, l’activité cognitive, les troubles du sommeil et les menstruations déclenchent souvent des épisodes.
On ne sait toujours pas pourquoi certaines personnes infectées par le SRAS-CoV-2 développent la COVID longue.
Ce n’est pas dans la tête
Dans la plupart des cas, les examens et tests de laboratoire reviennent normaux.
Beaucoup trop de personnes retournent à la maison bredouilles et sans réponse, déplore le Dr Putrino.
« Je crois qu’il y a des personnes qui vivent avec une COVID longue non diagnostiquée. […] Beaucoup de gens se disent rétablis, mais disent qu’ils ne peuvent plus aller au gym ou qu’ils sont plus fatigués qu’avant. Leur médecin leur dit que tout est correct, mais ils ne se sentent pas comme avant. »
Mme Vogel croit que la majorité des médecins de première ligne ont vu des patients atteints de la COVID longue, mais n’ont pas fait le lien avec une infection antérieure. Selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), 20 % des Américains de 18 ans et plus ont un problème de santé relié à une infection à la COVID-19.

En fait, plusieurs personnes finissent par obtenir un diagnostic de problème de santé mentale.
« Malheureusement, c’est une histoire honteuse de déni qui se répète. C’est arrivé avec le parkinson, avec la tuberculose, avec le sida. Dans le passé, nous avons “psychologisé” certaines maladies parce qu’on n’avait pas la technologie pour les comprendre », déplore le Dr Putrino.
Le Dr Putrino est d’avis qu’un médecin qui fait face à des résultats non concluants ne devrait pas conclure que tout est dans la tête du patient. « Les tests que nous avons ne sont pas conçus pour détecter la COVID longue. Mais ça ne devrait pas être la fin de l’investigation, ça devrait être le début. »
À la recherche d’un outil de diagnostic plus rapide
C’est pourquoi les quatre experts estiment qu’il faut rapidement développer un outil de diagnostic propre à la COVID longue.
« Les tests que nous avons ne sont pas assez sensibles et ne sont pas conçus pour détecter la COVID longue », confirme Douglas Fraser, scientifique et médecin de soins intensifs au London Health Sciences Centre.
C’est pourquoi le Dr Fraser et son équipe ont analysé quelque 3000 protéines dans le sang de patients atteints de la COVID longue. Ils ont cherché à voir quelles protéines changent, comment elles changent et dans quels organes on les trouve.
« Nous avons identifié 119 protéines qui sont radicalement différentes chez les personnes atteintes de la COVID longue. Les protéines ne mentent pas. Nous avons des indices biochimiques. »
Leurs travaux pourraient mener au développement de tests qui identifient ces biomarqueurs.
Si leurs recherches sont parmi les plus exhaustives à ce jour, le Dr Fraser souligne qu’il est possible que d’autres protéines soient en cause. « Je pense qu’on n’a qu’effleuré la surface. »
Le Dr Putrino ajoute qu’il existe de plus en plus de ressources et de formations pour aider les professionnels de la santé à mieux diagnostiquer la COVID longue, mais que ces guides ne sont pas encore suffisamment utilisés.
Trouver le bon traitement
À ce jour, il n’existe pas de traitement pour guérir la COVID longue.
Les traitements offerts visent à réduire la sévérité des symptômes. Par exemple, on peut traiter une embolie pulmonaire ou une anémie provoquée par la COVID longue. Certains ont des médicaments pour contrôler leurs étourdissements ou leurs douleurs musculaires.
« Les gens sont un peu plus fonctionnels, dit le Dr Putrino. Certains ne sont plus alités et peuvent faire quelques activités dans la maison. D’autres réussissent à reprendre des activités quotidiennes, comme faire l’épicerie une fois par semaine. »
Exaspérés, plusieurs patients sont prêts à essayer n’importe quoi, mais il n’existe pas de remède miracle, se désole le Dr Putrino.
Mme Vogel se dit par ailleurs sidérée de constater que plusieurs médecins continuent de suggérer l’exercice comme traitement.
« Dans 90 % des cas, les personnes avec la COVID longue font des malaises post-effort. Et celles qui s’activent trop vite et qui poussent trop leurs limites font des crash et finissent par empirer leurs symptômes. »
— Dr David Putrino, neuroscientifique et physiothérapeute du Mount Sinai Hospital
C’est pourquoi tous ces experts recommandent aux personnes qui croient être atteintes de la COVID longue de faire du pacing. Cette méthode, recommandée aux personnes souffrant d’encéphalomyélite myalgique (syndrome de fatigue chronique), aide les gens à gérer leur énergie.
« Il faut apprendre à y aller à petites doses. Apprendre à étaler ses activités quotidiennes, comme prendre une douche, faire la vaisselle ou utiliser l’ordinateur. En réduisant ses activités, les symptômes peuvent être mieux gérés », explique Mme Vogel.
Chez plusieurs personnes interviewées, le pacing est la seule chose qui a amélioré leurs symptômes.
Dans l’étude coécrite par Mme Vogel, on liste une série de traitements potentiels, dont plusieurs sont utilisés pour d’autres maladies post-virales.
Selon une récente étude, le Paxlovid, utilisé pour prévenir les formes graves de la COVID-19, réduit de 26 % le risque de développer la COVID longue s’il est pris au début d’une infection. Une autre étude a démontré que l’administration de la metformine, utilisée pour traiter le diabète de type 2, au début d’une infection réduirait de 26 % les risques de développer une COVID longue.
Compte tenu de ces conclusions, des chercheurs testent maintenant la prise du Paxlovid chez des personnes atteintes de la COVID longue dans l’espoir d’éliminer les réservoirs viraux et de réduire les symptômes.
Mais Mme Vogel avertit qu’il n’y a aucune garantie que ces traitements fonctionnent à coup sûr.
« J’ai moi-même essayé certains de ces traitements et ils n’ont pas aidé mes symptômes. Dans certains cas, ça les a empirés. Donc, c’est un essai-erreur. Et c’est un choix personnel. Les gens doivent être prêts à prendre un risque en essayant des traitements qui ne sont pas encore approuvés. »
Y a-t-il un espoir de guérison?
Le pronostic à long terme n’est pas clairement établi. Mais selon la Dre Falcone, certaines personnes risquent d’avoir des séquelles pour le reste de leur vie. Déjà, certaines personnes souffrent depuis trois ans.
Certains semblent se rétablir spontanément, mais généralement, lorsque les symptômes persistent au-delà de 12 semaines, il y a moins de chances d’un rétablissement complet.
« Dans le cas d’encéphalomyélite myalgique, les symptômes sont à vie. Il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que ça soit différemment dans le cas de la COVID longue », dit Mme Vogel, ajoutant que face à un pronostic incertain, plusieurs personnes vivent un deuil de leur vie d’avant. « Je dois accepter mes nouvelles limites. »
Combien de personnes sont affectées?
Les auteurs de l’étude dans Nature lancent un avertissement : « Une proportion importante de personnes atteintes de la COVID longue risquent d’avoir des incapacités à vie si aucune mesure n’est prise ». Déjà, la scientifique en chef du Canada indique dans son rapport que les demandes de prestations d’invalidité de courte et de longue durée liée au syndrome sont en hausse.
En janvier 2023, le Royaume-Uni, l’un des pays qui documentent largement le phénomène, estimait que 1,97 million de personnes souffraient de COVID longue, soit 10 % des personnes infectées et 3 % de la population totale du pays. Une prévalence somme toute élevée, dit la Dre Falcone.
Parmi elles, 142 000 ont été infectées dans les quatre derniers mois. Un peu plus d’un million sont malades depuis plus d’un an.
Au début de février, 11 % des Américains infectés avaient toujours des symptômes. Plus de 19 millions d’Américains, soit 5,8 % de la population américaine, seraient actuellement aux prises avec la COVID longue.
Au Canada, les données les plus complètes à ce sujet remontent à l’automne, mais concordent avec celles des États-Unis et du Royaume-Uni. Environ 1,4 million d’adultes canadiens auraient présenté des symptômes de la COVID-19 pendant au moins trois mois entre janvier 2020 et août 2022. Cela représente 15 % de tous les Canadiens infectés, dont la moitié avaient des symptômes depuis au moins un an.
Espoir à l’horizon, il semblerait que la proportion de personnes qui développent une COVID longue diminue. Par exemple, le nombre de Britanniques rapportant des symptômes persistants à la suite de leur infection est passé de 2,3 millions de personnes il y a six mois à 2 millions en février 2023.
Il est encore difficile de dire avec certitude si c’est grâce à la vaccination ou si les nouveaux variants provoquent tout simplement moins de complications.
Selon le Dr Putrino, la vaccination réduit le risque de développer le syndrome post-COVID de 8 % à 12 %. Chez les personnes non vaccinées, la prévalence demeure entre 20 % et 30 %.
Au Royaume-Uni, 31 % des personnes atteintes de la COVID longue auraient été infectées par la souche initiale du virus; 13 % par le variant Alpha; 17 % par le variant Delta et 36 % par Omicron.
Le Dr Putrino se désole de voir que plusieurs de ces personnes ne sont pas conscientes du risque et critique les gouvernements de ne pas avoir suffisamment sensibilisé la population, qui continue d’être infectée (ex. Au Québec seulement, de 10 000 à 20 000 personnes sont infectées quotidiennement).
La scientifique en chef du Canada tient à rappeler que la pandémie n’est pas finie. « Comme la propagation de la pandémie et du virus se poursuit, il est à prévoir que cette affection touchera encore un grand nombre de Canadiens », souligne Mona Nemer.
De l’espoir pour d’autres maladies chroniques?
Et pourtant, le fait que les virus peuvent provoquer des symptômes persistants n’est pas nouveau, rappelle Mme Longet.
Depuis longtemps, les scientifiques soupçonnent un lien entre les infections virales et les maladies auto-immunes chroniques. Par exemple, les infections bactériennes qui causent la chlamydia et l’angine streptococcique peuvent provoquer de l’arthrite et des maladies rhumatismales.
Selon Mme Longet, qui étudiait l’Ebola avant de se tourner vers le SRAS-CoV-2, les autorités ont d’abord pensé aux décès et à la surcharge des hôpitaux, mais ont choisi d’ignorer les risques des séquelles à long terme.
« Des gens de la communauté des maladies chroniques nous avaient pourtant avertis que ça arriverait et sonnaient l’alarme. »
— Dr David Putrino, neuroscientifique et physiothérapeute du Mount Sinai Hospital
D’ailleurs, des chercheurs qui se sont penchés sur les conséquences des pandémies d’influenza de 1889, de 1892 et de 1918 signalaient, dans une étude publiée en mai 2020 et une autre publiée en 2021, des risques de maladies post-virales avec la COVID-19.
Les recherches sur l’encéphalomyélite myalgique (syndrome de fatigue chronique) et la maladie de Lyme ont tout de même guidé les chercheurs dans leur quête pour mieux comprendre le syndrome post-COVID, souligne la Dre Falcone. Par contre, puisque ces études étaient sous-financées, la recherche entourant ces maladies demeure limitée.
Stéphanie Longet espère que la médiatisation entourant la COVID longue fera également avancer les travaux de recherche pour les autres maladies chroniques provoquées par des infections.
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Mélanie Meloche-Holubowski journaliste, Melanie Julien cheffe de pupitre, Émilie Robert illustratrice, Mathieu St-Laurent développeur et Danielle Jazzar réviseure linguistique