Illusions à la frontière américaine

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Une mauvaise odeur se dégage aux limites de Ciudad Juarez, à la frontière avec les États-Unis. Ici, le Rio Bravo n’est qu’une mince rivière. Ce qui coule dans son lit est d’un vert opaque qui évoque une soupe toxique où flottent des déchets de plastique.

Cet étrange cours d’eau délimite le Mexique et les États-Unis. Il se franchit en sautillant d’une pierre à l’autre. Trois ou quatre bonds vers le nord. Vers la terre rêvée.

Or, cette facilité n’est qu’illusion. Du barbelé se dresse juste devant, tout brillant et chauffé par le soleil du désert texan. Cent mètres plus loin, un immense mur de métal brun rouillé bloque le passage, donc le rêve américain.

Les illusions des migrants

Ce trajet, des milliers de gens l’ont emprunté au cours des derniers jours. Devant ce mur qui freine leur élan, ils ont patienté sous un puissant soleil, endurant les froides nuits sans protection. S’abreuvant à leurs rêves, se réchauffant de leurs espoirs.

C’est de la folie! lance Rafael, le visage dégoulinant de sueur. Il revient du seul dépanneur accessible à pied avec de l’eau et des collations pour sa femme et ses trois enfants. On n’a rien, c’est dur, admet-il. Plus rien, sauf ce désir d’aller de l’autre côté du mur.

Rafael dit patienter depuis huit jours sur ce bout de désert devenu salle d’attente. Il attend qu’une porte s’ouvre dans ce mur. Que les agents frontaliers lui donnent l’occasion de réclamer sa part de rêve.

Le Vénézuélien montre ses sandales de plastique usées, trouées. La preuve d’un nombre incalculable de kilomètres franchis à pied. Il repart vers la porte fermée dans le mur de métal, convaincu que sa volonté de travailler dur suffira à se faire inviter à rester aux États-Unis.

Des migrants se faufilent sous les barbelés.

Des migrants se faufilent sous les barbelés.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Ces derniers jours, des milliers de migrants au parcours similaire ont été refoulés au Mexique, renvoyés par avion dans leur pays d’origine. L’absence d’emplois payants ainsi que l’omniprésence de la corruption et de la violence ne sont pas toujours des motifs valables pour obtenir l’asile ailleurs.

Surtout en ces temps économiques difficiles pour plusieurs Américains. Surtout dans un pays polarisé, où l’immigration est une question explosive, qui fait gagner ou perdre des élections.

Je ne sais pas ce que je vais faire, soupire Ericson, un autre Vénézuélien tout juste refoulé au Mexique.

« Ça fait huit mois que je suis sur la route… J’ai tout perdu. Tout mon argent. Même mon téléphone! »

— Une citation de  Ericson, un migrant vénézuélien

Plusieurs migrants admis aux États-Unis semblent eux aussi vivre une désillusion. C’était bien visible sur certains trottoirs d’El Paso la semaine dernière. Des migrants campaient là, épuisés, comme s’ils étaient perdus.

<

p class= »e-p »>Ils sont pourtant du côté américain de la frontière. Mais ils n’ont plus d’argent pour continuer leur chemin, pour enfin poser ce qu’il leur reste de bagages. Difficile de croire qu’ils imaginaient ainsi leur arrivée aux États-Unis.

Les illusions des Américains

Bien des Américains regardent aussi la frontière à travers un prisme déformant. Une vision influencée par leurs craintes et par leurs ambitions. Par l’idéologie et par la généalogie.

Pour certains, il y a une crise; la frontière serait ouverte à n’importe qui. Une autre illusion. D’abord, la frontière est extrêmement surveillée, dotée de nombreux obstacles matériels. Ceux qui sautent le mur risquent fort d’être appréhendés rapidement.

De plus, ce ne sont pas tous ceux qui réclament l’asile qui le recevront. Au cours des deux dernières années, près de la moitié des demandeurs d’asile ont été expulsés rapidement, sans audience. Et ceux qui ont une audience ne sont pas automatiquement acceptés.

L’invasion, souvent évoquée par la droite américaine, a plutôt des airs de mirage… même s’il est vrai que des centaines de milliers de personnes souhaitent entrer dans ce pays et que le nombre de gens admis provoque des débordements temporaires dans les centres d’aide.

Une migrante latino-américaine à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

Une migrante latino-américaine à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Et si la vague de migrants n’a pas frappé la frontière avec la force crainte par certains, c’est en bonne partie grâce au rôle des forces de l’ordre mexicaines. C’est aussi au Mexique que sont refoulées des dizaines de milliers de personnes inadmissibles à la protection américaine.

C’est là aussi qu’un nombre prodigieux d’autres migrants sont présentement bloqués, incapables d’aller plus au nord. Policiers et militaires mexicains effectuent ce travail au nom des intérêts sécuritaires américains… et aussi canadien, puisque les voisins au nord sont liés par l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Washington espère que ces Vénézuéliens et ces Haïtiens déçus s’installeront au Mexique et mettront de côté leur rêve new-yorkais ou californien. Une illusion, selon les témoignages de migrants recueillis à Ciudad Juarez.

Les permis de travail mexicains sont théoriquement accessibles à de nombreux migrants. Toutefois, dans la pratique, plusieurs évoquent la discrimination et décrivent un lourd processus avec des exigences difficiles à remplir.

Demander l’asile au Mexique est aussi possible, mais le processus est très long et très aléatoire, selon les groupes de défense des droits de la personne, qui jugent que le Mexique est loin d’être un pays sûr pour ces gens en quête de protection.

De toute façon, bien des migrants ne semblent pas vouloir refaire leur vie au Mexique. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour rester ici, lance un Colombien en sirotant un café à quelques centaines de mètres des États-Unis.

Un Nouveau Testament entre les mains d'un migrant.

Certains migrants traînent une bible dans leurs bagages.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

L’illusion dissuasive

Washington croit aussi que ses messages dénonçant la cupidité des passeurs et les dangers de ce long chemin vers la frontière sont dissuasifs. Mais peuvent-ils convaincre ceux qui fuient des pays où l’électricité fait défaut? Où les gangs armés ont le dessus sur les policiers?

Ceux qui acceptent les risques en prenant la route connaissent souvent quelqu’un qui vit aux États-Unis. Le quotidien de ces gens, même s’il peut être pénible, est souvent plus alléchant que celui du pays qu’ils laissent derrière eux.

Pour dissuader les migrants, Washington compte sur des règles strictes et sur des pénalités sévères pour ceux qui contournent les voies légales. Ce sont là des outils puissants, dont la légalité est déjà attaquée en justice par un groupe de défense des libertés civiles. Et ces outils pourraient disparaître.

La Maison-Blanche assure aussi regarder la question migratoire sous un angle continental, d’où l’idée d’ouvrir, on ne sait pas encore quand, des centres en Colombie et au Guatemala où les migrants pourront faire évaluer leur cas avant de prendre la route vers le nord.

Washington promet aussi de s’attaquer aux racines des problèmes qui incitent les gens à fuir leur pays. Endiguer la corruption et la violence criminelle prend du temps. De même que la volonté de surpasser les intérêts de nombreux acteurs… et d’aller au-delà des illusions.

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Source :Radio Canada

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