Guerre en Ukraine et BRICS : entre la Russie et l’Iran, un mariage de raison

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L’annonce jeudi du feu vert à l’adhésion de nouveaux pays, dont l’Iran, au BRICS, le groupe politico-économique formé du Brésil, de la Russie, de la Chine, de l’Inde et de l’Afrique du Sud, représente une nouvelle étape dans les relations entre Moscou et Téhéran, qui fournit déjà aux Russes des drones servant à la guerre en Ukraine. Une union qui tient du concours de circonstances, et non pas d’une alliance formelle, soulignent deux experts.

L’élargissement du BRICS, à qui devraient se joindre non seulement la République islamique, mais aussi l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, vient contribuer à ce que le Pr Pierre Pahlavi qualifie de bloc anti-occidental.

Selon ce spécialiste œuvrant au Collège des Forces canadiennes, à Toronto, ce bloc, qualifié par les Occidentaux d’illibéral, de néo-westphalien, peu importe, est en train d’émerger, à défaut de se formaliser, et va de facto exister.

Cela fait des années que l’Iran cherche à conclure une alliance formelle avec l’un de ces États [membres de ce bloc], et ce traité se fait attendre. En même temps, c’est le mode opératoire très caractéristique des pays de cette nébuleuse, c’est d’agir dans la zone grise, poursuit le Pr Pahlavi en entrevue avec Radio-Canada.ca.

Autant les Occidentaux aiment la formalité, la signature d’accords, autant ces pays agissent un peu dans le brouillard, ce qui n’enlève rien à la force de leur collaboration. D’ailleurs, quand vous examinez le nombre de sphères de collaboration qui unissent ces pays, vous vous rendez compte qu’il y a bien quelque chose qui est en train de se tisser.

Mais ce rapprochement peut avoir un aspect un peu surprenant, puisque de l’avis du spécialiste, la signature du BRICS réunit des pays qui ont peu de choses en commun entre eux; vous avez l’Argentine, qui est censée être un pays proche de l’Occident; il y a l’Égypte, qui collabore avec l’Occident; et maintenant, il y a l’Iran. On a un peu une Arche de Noé, avec des pays très hétéroclites, mais qu’une chose rapproche.

Quoi donc? Ce rejet de la domination occidentale, ce rejet de l’ordre international dirigé par les États-Unis et mis en place depuis 1945, et depuis pérennisé et enrichi. Nous, en Occident, quand on regarde la guerre en Ukraine, on a l’impression que Vladimir Poutine est extrêmement isolé, qu’il a un appui timide de la part de Xi Jinping [le président chinois, NDLR], que l’Inde est ambivalente. Et en fait, on se rend compte, quand on regarde une carte mondiale, […] qu’il y a une connivence transcontinentale et globale entre ces pays, ajoute le Pr Pahlavi.

Il y a une masse qui est en train d’émerger, qui se coalise autour de ce rejet de ces valeurs occidentales. Beaucoup de pays en ont assez de se faire donner des leçons sur des questions de gestion des minorités, des questions du genre, des droits démocratiques, mentionne encore le spécialiste.

Ce sont tous des pays qui ont rejeté le film Barbie. Il y a quelque chose qui les ramène ensemble.

Une histoire lourde de sens

Pourtant, malgré cette image d’unité autour de l’opposition au « bloc » occidental, cette coalition politico-économique du BRICS est fragile : non seulement les tensions frontalières entre l’Inde et la Chine, deux puissances nucléaires, ont entraîné des échauffourées ayant fait plusieurs morts, mais dans le cas de la Russie et de l’Iran, il s’agit de deux voisins au passé gorgé de sang.

C’est une relation de longue date [entre Moscou et Téhéran], explique ainsi le Pr Pahlavi.

Elle remonte à l’époque des tsars et des shahs d’Iran : elle s’explique par la géopolitique, notamment avec le cordon ombilical du Caucase qui relie les deux pays et qui, encore aujourd’hui, voit les deux pays collaborer ensemble. […] La relation est ancienne, complexe et très importante.

Complexe, parce que lorsque vous interrogez les Iraniens et vous leur demandez qui est leur pire adversaire, si la question est posée par un Occidental, on pourrait s’attendre à ce que la réponse soit les États-Unis, Israël, le Royaume-Uni, mais les Iraniens ont particulièrement peur des Russes, pour des raisons évidentes : c’est un pays qui est à leur porte, dans leur dos. C’est à leur corps défendant que les Iraniens travaillent avec les Russes, a souligné le spécialiste.

Celui-ci précise toutefois que la diplomatie occidentale a très largement jeté l’Iran dans les bras de la Russie.

Les ennemis de vos ennemis… Au cours des 20 dernières années, les relations se sont resserrées, sur une base de coopération économique, stratégique, militaire, de renseignement, de transfert de technologie.

Un drone vole dans le ciel.

Ce drone russe photographié à Kiev correspond à la description d’un drone de fabrication iranienne Shahed-136, selon les autorités ukrainiennes.

Photo : Reuters

L’Iran impliqué dans la guerre… par drones interposés

Cette coopération se manifeste d’ailleurs sous la forme de la vente de milliers de drones à la Russie, dans le cadre de l’invasion russe de l’Ukraine lancée en 2022.

Après avoir lancé ses forces mécanisées dans la bataille et probablement perdu des milliers de chars et autres véhicules blindés, Moscou a adapté sa stratégie et emprunté certaines tactiques à son adversaire ukrainien qui, dès le début des hostilités, a cherché à compenser son désavantage matériel et numérique par une utilisation régulière de drones de toutes les tailles.

Au dire du professeur Sina Azodi, de l’Université George Washington, dans la capitale américaine, cette utilisation répandue de drones par les deux camps, combinée à l’utilisation d’armes et de tactiques plus que centenaires, comme des duels d’artillerie et le creusement de tranchées, donne à cette guerre un étrange aspect hybride.

C’est une utilisation de moyens conventionnels, comme l’artillerie, les chars, les tranchées, mais aussi de nouvelles méthodes militaires, particulièrement avec des drones ou des navires sans pilote. Je pense que la raison derrière tout cela est que, particulièrement pour la Russie, il y a eu cette réflexion selon laquelle l’utilisation de munitions de précision ne les aidera pas, à terme, notamment en raison des sanctions occidentales qui les empêchent de se procurer les composantes électroniques nécessaires à la fabrication de ces armes, explique le Pr Azodi en entrevue téléphonique.

Utiliser des drones, dont l’Iran a acquis une grande expérience de fabrication, est donc devenu une nouvelle façon de faire la guerre en Ukraine, ajoute-t-il.

Une relation Moscou-Téhéran inversée

À l’instar du Pr Pahlavi, le Pr Azodi affirme que cette coopération entre la Russie et l’Iran n’a rien d’une alliance militaire formelle, mais que c’est plutôt un partenariat. C’est une coopération limitée en vertu d’intérêts mutuels, mais ce n’est pas une alliance, d’autant plus que la Russie a, à plusieurs occasions, travaillé à nuire aux intérêts iraniens.

Ce qui est intéressant, c’est qu’avant le conflit, la relation entre les deux pays fonctionnait d’une façon où c’était l’Iran qui allait voir la Russie pour obtenir des armes sophistiquées, ce que Moscou a toujours refusé. Mais aujourd’hui, la situation est inversée, et Téhéran fournit des armes au Kremlin. Rien de sophistiqué, mais cela permet d’accomplir le travail souhaité, mentionne encore le Pr Azodi.

Devant la lenteur de la contre-offensive ukrainienne et la possibilité que le conflit s’étire pendant encore plusieurs mois, M. Azodi s’attend à ce que la collaboration se poursuive entre Moscou et Téhéran. Surtout que, selon un article publié la semaine dernière dans le Washington Post, l’Iran a contribué à financer la construction d’une usine, en sol russe, qui fabriquera des drones par milliers.

Je crois que la Russie estime pouvoir endurer la pression et gagner une guerre d’attrition. Et en utilisant des drones, il serait possible de briser le moral des Ukrainiens, en attaquant des centrales électriques et d’autres infrastructures essentielles, et ainsi saper leur volonté de se battre, a-t-il dit.

La Russie a perdu 20 millions de personnes durant la Deuxième Guerre mondiale, et ils ont quand même gagné!

Toujours au dire du spécialiste, ce recours aux drones permet aussi de surmonter deux obstacles : tout d’abord, éviter de perdre encore plus de chars d’assaut, après avoir été forcés de se rabattre sur de vieux modèles soviétiques, mais aussi de saturer les défenses antiaériennes ukrainiennes.

Car si Kiev a notamment reçu des batteries Patriot américaines, lancer un, voire plusieurs missiles à l’aide de ces systèmes s’avère très coûteux, d’autant plus qu’un drone peut entraîner des dépenses minimes de l’ordre de 20 000 $ par appareil, souligne le Pr Azodi.

Ce dernier ajoute qu’il n’existe, pour l’instant, aucune convention internationale venant réglementer l’utilisation de drones dans un contexte de conflit armé. Et ce n’est pas demain la veille où de telles règles seront mises en place, juge-t-il, puisque les principaux pays qui utilisent des drones à des fins militaires, les États-Unis, la Russie, Israël, etc., n’ont aucun intérêt à se priver de ces ressources.

Donc, dit encore le Pr Azodi, l’Ukraine et la Russie vont certainement continuer à s’attaquer mutuellement à l’aide de drones; Kiev va multiplier les frappes profondément en territoire russe, y compris jusqu’au Kremlin; et Moscou va envoyer des dizaines de drones sur ses objectifs, dans l’espoir de surcharger et de percer les défenses ukrainiennes.

Pour l’Ukraine, cela signifie continuer de réclamer des armements et du financement à l’Ouest. Pour la Russie, cela veut dire se tourner vers l’Iran et entretenir cette relation épistolaire, certes, mais qui tend à venir cristalliser ce bloc anti-occidental.

Source :Radio Canada

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