
La grippe aviaire, c’est quoi ?
C’est une maladie virale contagieuse qui frappe à la fois la volaille d’élevage et les oiseaux sauvages. Elle est causée par le virus d’influenza de type A qui peut aussi infecter les mammifères, notamment le porc, le renard et l’humain
, rappelle le professeur Jean-Pierre Vaillancourt, de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.
Les virus de l’influenza aviaire sont regroupés en deux catégories selon la gravité des symptômes observés chez les oiseaux atteints (faiblement ou hautement pathogène). Dans le présent cas, une forme hautement pathogène (IAHP) circule grandement, mais des foyers moins pathogènes existent aussi.
De plus, il existe plusieurs souches (sous-types) en fonction de deux protéines présentes dans le virus. Ces souches se déclinent en 16 types d’hémagglutinine (protéine H) et 9 types de neuraminidase (protéine N) qui peuvent former pas moins de 144 combinaisons. Retenons ici que les souches H5 et H7 sont particulièrement préoccupantes, et peuvent muter pour devenir hautement pathogènes, particulièrement pour les oiseaux d’élevage.
Comment se propage-t-elle?
Les oiseaux migrateurs représentent habituellement le réservoir naturel du virus, mais bien souvent, ils ne présentent pas de signes d’infection même s’ils sont porteurs
, note le Pr Vaillancourt.
Ces oiseaux sauvages peuvent entrer directement en contact avec la volaille d’élevage dans les aménagements extérieurs ou indirectement par leurs fientes.
La propagation peut également être favorisée par des pratiques défaillantes d’élevage et le commerce international.
À l’échelle locale, le virus peut facilement se transmettre d’une ferme à l’autre lors du transport d’animaux infectés, mais aussi par les bottes et vêtements et l’équipement contaminé. De strictes mesures de biosécurité doivent être adoptées pour réduire le risque de contamination.
Comment la grippe est arrivée au Canada?
La souche actuelle hautement pathogène serait d’origine eurasienne. Elle serait ainsi arrivée dans l’ouest du Canada à partir de l’Asie et dans l’est à partir de l’Europe.
Normalement, le virus arrive de l’ouest, mais des conditions climatiques particulières auraient favorisé la présence d’oies européennes arrivées à Terre-Neuve via l’Islande, mais que l’on ne retrouve habituellement pas au Canada
, explique le Pr Vaillancourt.
Quelle est la situation au pays?
Des oiseaux sauvages de toutes les provinces et territoires sont atteints. Chez les oiseaux domestiques, il n’y avait au moment d’écrire ce texte que la province de l’Île-du-Prince-Édouard, qui ne présentait aucun cas. Les provinces les plus atteintes sont à l’ouest : la Colombie-Britannique et l’Alberta. Le Québec et l’Ontario ne s’en tirent pas si mal par rapport à la taille de leurs industries
, note le Pr Vaillancourt.
« C’est arrivé à quelques occasions dans les 20 dernières années que des virus aviaires hautement pathogènes atteignent des oiseaux domestiques. De façon générale, toutefois, c’est limité à quelques foyers d’une région en particulier. Le plus gros cas connu, c’était un H7N3 en 2004 en Colombie-Britannique, mais il était resté là. »
Quand le virus se propage le plus?
Habituellement, c’est au printemps et à l’automne, ce qui correspond logiquement aux mouvements migratoires des espèces sauvages
, indique Jean-Pierre Vaillancourt. Le vétérinaire précise toutefois que la situation actuelle est particulière, puisque le virus a trouvé le moyen d’infecter un large spectrum d’oiseaux sauvages contaminant ainsi grandement l’environnement
.
« Les oiseaux ont excrété (par leur fiente) le virus 1000 fois plus que la normale dans l’environnement, ce qui rend les conditions actuelles exceptionnelles. »
Le virus peut ainsi se propager au-delà des périodes migratoires.
Le Pr Vaillancourt estime que le virus ne peut probablement pas voyager sur des kilomètres dans l’air, mais qu’il pourrait se transmettre par aérosols sur de petites distances, même si le risque est minime. Cela prendrait des milliers d’oiseaux sauvages à proximité d’un élevage pour propager le virus par aérosols
, estime le professeur, qui mentionne que cette situation se serait peut-être produite dans une ferme en Alberta.
Quelles espèces d’oiseaux sont les plus fragiles?
Toutes les espèces d’oiseaux sauvages et domestiques peuvent attraper le virus et agir comme vecteur de transmission. Chez les oiseaux sauvages, les oiseaux aquatiques vivant en groupe (canards, oies, cygnes, fous de Bassan) sont plus susceptibles de le transmettre et d’en être atteints.
Des passereaux comme le geai bleu peuvent être infectés, mais le fait qu’ils ne vivent pas collés dans des lieux très restreints freine la propagation du virus
, mentionne le Pr Vaillancourt.
La volaille d’élevage et certains oiseaux domestiques de basse-cour sont particulièrement à risque. Avec les souches présentes actuellement au Québec, les canards et les dindes semblent très sensibles, beaucoup plus que les poulets. Des oiseaux sauvages comme les fous de Bassan sont également très touchés
, note le professeur Vaillancourt.
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Comment reconnaître des oiseaux infectés?
Ils sont souvent silencieux et léthargiques. Ils peuvent aussi présenter un gonflement de la peau sous les yeux, des hémorragies au niveau des pattes et une crête enflée.
« On peut aussi observer des signes nerveux. L’oiseau tourne en rond et a des spasmes de toutes sortes. C’est particulièrement spectaculaire chez les canards et les oies. »
Ils peuvent aussi avoir des problèmes respiratoires et faire de la fièvre. Il n’est pas rare qu’ils aient aussi une diarrhée très liquide qui ressemble à du lait écrémé
, précise le Pr Vaillancourt.
Peut-on traiter les oiseaux malades?
Malheureusement, il n’existe aucun traitement de la maladie. Dès qu’un éleveur observe des oiseaux malades, il doit mettre en place une quarantaine pour éviter la transmission du virus.
Ensuite, dès qu’un diagnostic est établi, il faut euthanasier le plus vite possible les oiseaux non seulement pour le bien-être animal, mais aussi pour éteindre le feu pour que ça ne se propage pas ailleurs
, ajoute le Pr Vaillancourt.
Il faut ensuite traiter des tonnes de matière organique contaminée. Heureusement, c’est un virus qui est détruit très rapidement à 60 degrés.
Je peux l’attraper en mangeant des œufs ou de la viande?
Non. La probabilité que le virus se rende jusqu’à un abattoir, particulièrement de nos jours avec la surveillance, est excessivement faible
, affirme le Pr Vaillancourt. Rien ne permet de penser que la consommation de volailles ou d’œufs cuits pourrait transmettre le virus à l’humain
, affirme l’OMS.
Est-ce que le virus se transmet d’oiseau à mammifère?
Oui, mais pas facilement. Les mammifères qui sont atteints ont été en contact étroit avec des oiseaux infectés, peut-être des oiseaux morts. C’est certainement le cas des renards, des moufettes et des visons, qui ont probablement mangé des oiseaux infectés
, explique le Pr Vaillancourt. Pour ce qui est des dauphins et des phoques, ils l’ont fort probablement attrapé par l’eau contaminée à proximité de colonies d’oiseaux porteurs.
Habituellement, les virus de l’influenza aviaire se transmettent peu des animaux aux humains. Depuis 1996, environ 880 cas ont été répertoriés dans 21 pays. On parle d’un virus qui a tué la moitié des gens et qui est un ancêtre de celui qu’on voit présentement, mais ce n’est pas le même virus
, affirme le Pr Vaillancourt.
Depuis 2016, peu de cas ont été observés. Récemment, le cas d’une fillette morte au Cambodge de la grippe aviaire a laissé planer le doute d’une transmission d’humain à humain, puisque son père a également été déclaré positif, mais l’idée a été abandonnée.
Des analyses menées sur le virus qui a emporté la jeune fille ont montré qu’il appartient à une souche endémique dans ce pays d’Asie et qui circule depuis 2013-2014.
L’Organisation mondiale de la santé pense que, comme pour les autres cas humains, la transmission se serait produite à la suite d’un contact étroit avec des oiseaux malades ou avec des environnements fortement contaminés par des fientes.
L’enfant est morte après être tombée malade à la mi-février avec des symptômes de fièvre, de toux et de gorge sèche alors que le père était asymptomatique.
« Pourquoi la fillette est morte et pas son père? Le virus revire le système immunitaire de la personne contre elle. Plus la personne est vieille, plus le système immunitaire est déficient, moins fort est le virus. »
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p class= »e-p »>C’est un virus qui a un potentiel zoonotique (transmission d’un animal vertébré à l’humain), on le voit clairement avec tous les mammifères qui sont infectés
, soutient M. Vaillancourt, qui estime que la situation demande un suivi de santé publique.
Une transmission entre humains est-elle possible?
Théoriquement, oui. Mais des versions ancestrales du virus H5N1 actuel circulent parmi les oiseaux depuis environ 25 ans et n’ont toujours pas encore acquis la capacité de se propager entre les humains.
Les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies expliquent que les virus H5N1 n’ont pas la capacité de se lier facilement aux récepteurs des voies respiratoires supérieures de l’humain ni de se transmettre entre eux
.
Est-ce que la grippe aviaire pourrait causer une pandémie humaine?
C’est techniquement possible mais peu probable, puisqu’il faudrait que le virus se transmette beaucoup plus facilement entre humains.
La dernière fois où ce fut le cas, c’était en 1918-19 avec le A(H1N1). C’était la grippe espagnole, même si elle n’avait rien d’espagnol
, rappelle M. Vaillancourt. Cette pandémie a fait de 20 à 50 millions de morts, selon l’Institut Pasteur, et peut-être jusqu’à 100 millions, selon des réévaluations de 2020.
Y a-t-il un vaccin contre la grippe aviaire?
Certains laboratoires ont développé des vaccins pour traiter les oiseaux, mais la vaccination présente un véritable défi organisationnel. Il faut un vaccin dans lequel le virus est mort et non vivant atténué. C’est une grosse différence. Cela veut dire qu’il faut injecter les oiseaux individuellement. Va-t-on commencer à injecter des millions de poulets d’élevage?
s’interroge le Pr Vaillancourt.
Un vaccin dont le virus (parfois juste la partie immunogène du virus) est mort vient avec un adjuvant (souvent une base huileuse) qui favorise la reconnaissance des antigènes (morceaux du virus) par le système immunitaire. Ainsi, le système immunitaire réagit et produit des anticorps contre ces antigènes. Par contre, le virus étant tué, il ne se répliquera pas dans l’oiseau, ainsi, la dose d’antigènes est limitée.
Pour un vaccin humain contre la grippe aviaire, il y a possiblement quelques pays qui ont développé un vaccin
, avance le Pr Vaillancourt, qui ajoute par contre qu’il n’existe actuellement aucune indication qui laisse penser qu’une vaccination est nécessaire pour l’humain.
Quelles précautions doivent prendre les éleveurs?
Il faut prévenir tout contact, de près ou de loin, entre les oiseaux d’élevages et les oiseaux sauvages.
Il ne faut surtout pas que les oiseaux sauvages aient accès à l’eau et à la nourriture des animaux domestiques. Des bernaches canadiennes qui fréquentent un étang où se trouvent des canards domestiques, c’est une situation à haut risque.
Il faut aussi maintenir des normes d’hygiène rigoureuses.
Que dois-je faire en la présence d’un oiseau mort?
Il ne faut jamais toucher les oiseaux sauvages vivants, malades ou morts
, rappelle l’Agence de la santé publique du Canada, qui invite les citoyens à signaler la présence d’animaux malades ou morts aux autorités compétentes (ministères provinciaux de la Faune).
Dans le cas où vous devez absolument manipuler une carcasse, l’agence recommande de porter des gants ou d’utiliser un sac en plastique doublé. Elle rappelle également qu’il faut éviter tout contact avec le sang, les fluides corporels et les excréments. Il est ensuite essentiel de se laver les mains avec du savon et de l’eau chaude.