
Selon l’agence officielle turque Anadolu, M. Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans, recueille 52,1 % des suffrages, contre 47,9 % pour son adversaire Kemal Kiliçdaroglu après décompte de près de 99% des voix.
Juché sur un bus devant son domicile d’Istanbul, sur la rive asiatique du Bosphore, le chef de l’Etat, 69 ans dont vingt au pouvoir, a pris la parole devant une mer de drapeaux rouges brandis par une foule enthousiaste.
Notre nation nous a confié la responsabilité de gouverner le pays pour les cinq prochaines années
, a-t-il lancé, au terme d’une élection qui l’a contraint pour la première fois à un second tour.
Le seul gagnant aujourd’hui, c’est la Turquie
, a conclu M. Erdogan.
Des rassemblements spontanés se sont formés partout dans les villes où le Reis
a triomphé, en particulier au coeur de l’Anatolie.
Son adversaire, Kemal Kiliçdaroglu, n’a pas réagi au discours de Recep Tayyip Erdogan dans l’immédiat.
En dépit d’un fort désir de changement d’une partie de l’électorat, las de la crise économique, des restrictions aux libertés et de l’hyperprésidentialisation d’un pouvoir qui a envoyé des dizaines de milliers d’opposants derrière les barreaux ou en exil, le chef de l’Etat partait favori avec cinq points d’avance à l’issue du premier tour du 14 mai, où il avait recueilli 49,5 % des suffrages.
Visage fatigué, se déplaçant avec lenteur, Recep Tayyip Erdogan a voté à la mi-journée dans le quartier d’Usküdar sur la rive asiatique d’Istanbul : une foule enjouée l’y attendait, à laquelle les gardes du corps ont distribué des jouets tandis que le président glissait quelques billets de banque à des enfants.
« Aucun pays au monde ne connaît des taux de participation de 90 %, la Turquie les a presque atteints. Je demande à mes concitoyens de venir voter sans faiblir. »
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p class= »e-p »>Au premier tour, la participation avait atteint 87 %.
Presque simultanément, tout sourire malgré les pronostics défavorables, Kemal Kiliçdaroglu déposait son bulletin à Ankara en incitant ses concitoyens à voter pour qu’une véritable démocratie et la liberté puissent advenir dans ce pays, pour se débarrasser d’un gouvernement autoritaire
.
Les deux candidats ont appelé leurs partisans à veiller sur les urnes jusqu’aux résultats définitifs. Il est maintenant temps de protéger la volonté de notre nation au-dessus de nos têtes jusqu’au dernier moment!
, a tweeté M. Erdogan immédiatement après la fermeture des bureaux de vote à 17 h, heure locale.
Le camp Erdogan n’a eu cesse de qualifier l’opposition menée par Kiliçdaroglu de terroriste
en raison du soutien que lui ont apporté les responsables du parti prokurde HDP.
Nous appelons chacun au calme avant le décompte
, a lancé Halis Firet, 56 ans, observateur pour le compte du parti de Kiliçdaroglu, le CHP, dans un bureau de vote d’Istanbul.
Au soir du premier tour, ils avaient fait l’objet de nombreuses contestations verbales de la part de l’opposition qui a, cette fois, décidé de poster cinq scrutateurs devant chaque urne – soit un million d’observateurs à travers le pays.
Un pays, deux visions
Les personnes interrogées par l’AFP
dans les files d’attente des bureaux de vote ont témoigné de la polarisation du pays après ces semaines de campagne.À Ankara, Mehmet Emin Ayaz, chef d’entreprise de 64 ans, estimait important de conserver ce qui a été acquis au cours des vingt dernières années en Turquie
sous l’ère Erdogan. À l’opposé, Aysen Gunday, retraitée de 61 ans, voulait faire de ce scrutin un référendum
contre le président et a choisi Kemal Kiliçdaroglu.
Deux visions du pays, de la société et de la gouvernance s’offraient aux 60 millions d’électeurs de Turquie (la diaspora a déjà voté) appelés aux urnes: la stabilité au risque de l’autocratie avec Recep Tayyip Erdogan, ou le retour promis à l’État de droit et à la justice, selon ses termes, avec son adversaire, ancien haut fonctionnaire de 74 ans.
Pas plus que lors de la campagne du premier tour, l’économie ne s’est imposée dans le débat national malgré une inflation autour de 40 % et la dégringolade de la monnaie nationale qui impacte fortement le pouvoir d’achat de la population.
Même les zones dévastées par le séisme du 6 février, qui a fait au moins 50 000 morts et trois millions de déplacés, avaient massivement accordé leur confiance au chef de l’État qui a multiplié les largesses et les promesses de reconstruction.
Face à lui, Kemal Kiliçdaroglu, le demokrat dede
– le papy démocrate – comme se présente cet économiste de formation aux cheveux blancs et fines lunettes, a semblé abattu par son retard au premier tour.
On est moins motivés
qu’au premier tour, a reconnu un de ses partisans, Bayram Ali Yüce, soudeur de 45 ans.
Faute d’accès aux grands médias et surtout aux chaînes de télévision officielles, Kemal Kiliçdaroglu a bataillé sur Twitter quand ses partisans tentaient de remobiliser les électeurs par du porte-à-porte dans les grandes villes.
Face à cet homme discret d’obédience alévie, une branche de l’islam jugée hérétique par les sunnites rigoristes, Recep Tayyip Erdogan a multiplié les rassemblements, s’appuyant sur les transformations qu’il a su apporter au pays depuis son accession au pouvoir comme premier ministre en 2003, puis comme président depuis 2014.
La date de ce second tour intervient dix ans jour pour jour après le début des grandes manifestations de Gezi
qui s’étaient répandues dans tout le pays et avaient été sévèrement réprimées.
Mais dimanche, le camp Erdogan affichait sa confiance assurant préparer le discours du président sortant, en soirée, depuis le palais présidentiel d’Ankara.