Des réfugiés syriens vivent dans la peur au Liban… en attendant Québec

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Le modus operandi est quasiment le même depuis avril au Liban : des militaires débarquent en pleine nuit chez des réfugiés syriens, ils perquisitionnent les lieux et inspectent la validité de leur permis de séjour. S’ils sont périmés, les réfugiés sont arrêtés, conduits vers la frontière et remis aux autorités syriennes.

À partir de là, leur sort n’est pas toujours connu.

Des organisations pour la défense des droits de la personne, dont Human Rights Watch et Amnistie internationale, ont recensé de nombreux cas de détention arbitraire, de persécution et de torture de réfugiés syriens dès leur retour dans leur pays, ravagé par plus de 12 ans de guerre.

Déclenché en mars 2011, le conflit en Syrie a fait près d’un demi-million de morts, dont plus de 160 000 civils. Environ la moitié de ces civils ont été tués sous la torture en prison, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Et près de la moitié des Syriens sont désormais des réfugiés ou des déplacés.

Plongé depuis 2019 dans la plus grave crise financière de son histoire, le Liban accueille près de deux millions de réfugiés syriens, soit environ le tiers de la population libanaise. Près de 830 000 de ces réfugiés sont enregistrés auprès des Nations unies. Le tout représente un lourd fardeau socio-économique pour ce petit pays, où 80 % de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté.

Un camp de réfugiés.

Vue aérienne d’un camp pour réfugiés syriens aux abords de la ville de Qab Elias, dans l’est du Liban, non loin de la frontière syrienne.

Photo : Reuters / ISSAM ABDALLAH

1 % des réfugiés souhaitent rentrer en Syrie

Impossible de connaître le nombre exact de réfugiés syriens qui ont été déportés du Liban depuis avril, mais l’ONG libano-française Centre d’accès pour les droits humains (ACHR) parle de plus de 800 réfugiés arrêtés, dont 700 ont été rapatriés vers la Syrie en un mois.

Les autorités libanaises affirment ne viser que les réfugiés en situation irrégulière, mais l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) rapporte que des réfugiés dont les papiers sont en règle ont également été déportés vers la Syrie.

Aujourd’hui, les combats ont quasiment cessé en Syrie, mais l’ONU affirmait en mars que les conditions actuelles ne sont pas propices au retour des réfugiés, au vu des violations récurrentes constatées dans le pays. Et jeudi dernier, l’Union européenne a affirmé qu’elle ne soutiendra pas le retour des Syriens dans leur pays que s’ils sont volontaires, sûrs et surveillés par des groupes internationaux.

Un sondage de l’ONU révélait d’ailleurs en mai que seulement 1 % des réfugiés syriens installés dans les pays voisins souhaitent revenir en Syrie d’ici un an.

Un jeune couple assis sur un canapé.

Nour et Mohammed dans leur appartement, au Liban

Photo : Radio-Canada

À Beyrouth, Nour et Mohammed, un couple de réfugiés syriens parrainés par un groupe de cinq Québécois, n’osent pas quitter leur logement depuis avril. La jeune femme de 31 ans et son mari de 38 ans craignent d’être expulsés vers leur pays, où la vie est devenue impossible pour eux.

D’abord réfugiés en Turquie, Nour et Mohammed ont fui vers le Liban après le puissant séisme qui a frappé la région en février dernier. Le couple, qui se trouvait à Gaziantep, non loin de l’épicentre de la secousse qui a fait plus de 50 000 morts, a survécu au séisme, mais s’est retrouvé à la rue.

On n’avait nulle part où aller, raconte Nour dans une entrevue donnée par visioconférence. Après le séisme, je ne pouvais plus rester en Turquie, je n’allais pas bien du tout. J’ai souffert de crises de panique, de stress et d’une fatigue émotionnelle très difficile.

Assis à côté d’elle, Mohammed explique que sa femme ne pouvait plus supporter l’idée d’être dans un endroit clos. Elle voulait rester dehors, dans la rue, sans aucun toit au-dessus de la tête.

Vue générale de Gaziantep en ruines.

La ville turque de Gaziantep, où étaient réfugiés Nour et Mohammed, a été quasiment réduite en ruines après le séisme dévastateur de février dernier.

Photo : Getty Images / Burak Kara

Le couple décide donc de se rendre au Liban en attendant le traitement de son dossier de parrainage au Canada, où le frère et la sœur de Nour, Michel et Reem, sont arrivés comme réfugiés entre 2016 et 2017, quand Ottawa avait ouvert ses portes à quelque 25 000 Syriens fuyant la guerre.

« La dernière fois que je suis sortie de la maison, j’ai vu un poste de contrôle de l’armée libanaise et j’ai très vite rebroussé chemin. Si je me fais arrêter, je vais sûrement être déportée vers la Syrie. […] Pour moi, la Syrie c’est du passé. Mon avenir, c’est le Canada. »

— Une citation de  Nour Nakoul, réfugiée syrienne au Liban

Incapables de travailler en raison de leur statut, Nour et Mohammed n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins les plus primaires au Liban. Pour payer leur loyer, leur nourriture et leurs médicaments, ils dépendent principalement de leurs parrains du Québec qui ont lancé une levée de fonds en ligne pour les aider.

La situation est vraiment intenable économiquement. Nos parrains ont fait plus que leur part, vraiment, mais ils ne sont pas obligés de nous soutenir toute leur vie. Eux aussi ont leur vie et leurs projets, réagit Mohammed depuis le Liban.

Une femme aux courts cheveux blonds assise dans une cour.

Carole Yerochewski, porte-parole du groupe de Québécois qui parrainent Nour et son mari.

Photo : Radio-Canada

Carole Yerochewski est l’une des marraines du couple. Elle affirme que le dossier de parrainage de Nour et de son mari a été soumis il y a un an et déplore la lenteur bureaucratique du ministère de l’Immigration, alors qu’il y a urgence.

« Ils n’ont plus les moyens de vivre en ce moment. Ça va finir comment? On fait quoi? On continue d’envoyer de l’argent et on leur dit d’attendre pendant quatre ans pour des problèmes bureaucratiques au Québec? »

— Une citation de  Carole Yerochewski, porte-parole du groupe de parrains de Nour et Mohammed

Contrairement aux autres provinces canadiennes, le Québec impose une étape supplémentaire pour les groupes qui souhaitent parrainer des réfugiés. Ces derniers doivent d’abord soumettre une demande d’engagement auprès du ministère qui procède ensuite à un tirage au sort parmi les dossiers jugés admissibles.

Une fois cette étape dépassée, les parrains doivent ensuite démontrer qu’ils sont capables de subvenir aux besoins essentiels des personnes réfugiées pendant une durée d’un an. Ce n’est que lorsqu’ils obtiennent le feu vert de Québec qu’ils peuvent soumettre leur dossier au gouvernement fédéral, à qui revient la décision finale.

Un cas parmi une cinquantaine d’autres

J’espère que le gouvernement fera preuve d’empathie, surtout envers les réfugiés syriens qui ont survécu au tremblement de terre en Turquie, confie à Radio-Canada Reem Nakoul, la sœur de Nour, installée à Laval avec son mari et ses trois filles.

« Nous sommes très reconnaissants envers le Canada, qui nous a ouvert ses portes. […] Nous avons fui la guerre et la persécution et nous avons la chance de vivre en sécurité avec nos enfants. Mais qu’en est-il de notre famille? Nos proches ont eux aussi le droit de vivre en paix.  »

— Une citation de  Reem Nakoul, la sœur de Nour

Je suis écœurée, à bout de nerfs, lâche-t-elle encore.

Une femme aux cheveux noirs sourit en regardant son téléphone intelligent.

Reem Nakkoul parlant avec sa sœur Nour lors d’un appel vidéo depuis sa maison à Laval.

Photo : Radio-Canada

Le cas de Nour et Mohammed n’est pas unique. Plus de 59 réfugiés syriens au Liban sont eux aussi en processus de parrainage au Québec, selon un décompte non exhaustif de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).

Ces migrants se trouvent actuellement sous menace imminente de déportation, dont un certain nombre de familles avec des enfants, indique à Radio-Canada Julia Tischer, coordinatrice du volet parrainage du TCRI.

Cette campagne de déportation intervient alors que le régime de Bachar Al-Assad effectue un retour sur la scène diplomatique arabe, après plus d’une décennie d’isolement. Le retour des réfugiés en Syrie figurait parmi les principaux points à l’ordre du jour du dernier sommet de la Ligue arabe, auquel M. Assad a été invité le 18 mai dernier à Djeddah, en Arabie saoudite.

Un contexte régional changeant

Le Liban n’est d’ailleurs pas le seul pays qui souhaite le départ des réfugiés syriens de son territoire. La Turquie, où 3,7 millions de Syriens ont trouvé refuge, a entamé la construction de 240 000 logements dans le nord de la Syrie, non loin de sa frontière, dans le but d’y transférer les réfugiés. Et le 1er mai, la Jordanie a organisé une réunion interarabe dans le but de négocier un retour volontaire et sécuritaire des réfugiés dans leur pays.

Mais selon Armenak Tokmajyan, chercheur spécialisé dans le conflit syrien et la question des réfugiés au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient basé à Beyrouth, les pays arabes n’ont pas précisé quels seront les mécanismes en place pour s’assurer que le retour des réfugiés dans leur pays sera sécuritaire.

Des voitures passent à côté de portraits géants du président syrien.

Des portraits du président syrien Bachar Al-Assad placardés dans les rues de la capitale, Damas.

Photo : Reuters / FIRAS MAKDESI

La situation sur le terrain n’a pas beaucoup changé en Syrie, elle a même empiré à cause de la crise économique dans laquelle est plongé le pays, dit-il dans un entretien téléphonique avec Radio-Canada.

« Le service militaire obligatoire est toujours en vigueur dans le pays, ce qui veut dire que les jeunes hommes qui y retourneront seront conscrits. Cela s’apparente à du recrutement militaire forcé, ce qui est en soi une raison suffisante pour ne pas renvoyer les réfugiés. »

— Une citation de  Armenak Tokmajyan, chercheur au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient

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p class= »e-p »>La Syrie ne peut certainement pas être considérée comme un pays sûr, tranche de son côté France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, appelant les autorités libanaises à cesser leur campagne de déportation. Elle déplore également le manque d’empathie des pays occidentaux vis-à-vis des migrants, dénonçant une approche deux poids, deux mesures dans l’accueil des réfugiés ukrainiens et syriens.

Toutes les demandes sont importantes

Au Québec, le ministère de l’Immigration indique qu’il est en train de compléter l’examen des demandes reçues en 2020 et 2021. Pour pallier ce retard de près de trois ans, le ministère a procédé à une réorganisation interne et à l’ajout de ressources dédiées à l’examen des demandes d’engagement du parrainage collectif, explique la porte-parole Arianne Méthot dans un message envoyé par courriel.

Elle affirme que toutes les demandes […] sont importantes et réfèrent à des personnes en situation particulière de détresse, tout en assurant n’accorder aucun traitement privilégié à des groupes de personnes réfugiées en particulier.

Vue aérienne d'un chantier de construction dans une région désertique.

La Turquie a entamé la construction d’un nouveau complexe résidentiel de 240 000 logements dans le nord de la Syrie, près de sa frontière, dans le but d’y réinstaller des réfugiés syriens.

Photo : Getty Images / BAKR ALKASEM/AFP

Pour Reem, la sœur de Nour, l’espoir est encore permis, malgré l’attente. Peut-être que ça va prendre des années, on ne le sait pas, on espère que non, dit-elle. Pour ma sœur, chaque jour qui passe est long comme une année.

Les parrains du couple restent eux aussi déterminés. On a un devoir d’humanité envers les réfugiés, explique leur porte-parole, Carole Yerochewski. Le respect du droit international, des engagements moraux, nous le faisons en tant que particuliers, mais est-ce que le gouvernement est vraiment prêt à le faire? Il faudrait le démontrer.

Entre-temps, Nour commence déjà à apprendre le français en vue de sa nouvelle vie au Canada. Je regarde vers l’avenir, dit-elle. […] Je veux pouvoir travailler, parler et enseigner cette langue à mes futurs enfants.

Ne manquez pas le Téléjournal de 22 h, lundi soir sur ICI Télé, pour voir une version vidéo de ce reportage, préparée par Jean Philippe Hughes.

Source :Radio Canada

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