« Pour moi, la coexistence arabo-juive est un fait et un but », lance d’emblée Tikva Meron.
Nous rencontrons cette Israélienne, née en France, lors d’une petite activité organisée par le groupe Standing Together, qui milite en faveur d’une meilleure cohabitation entre la majorité juive et la minorité arabe, celle-ci représentant environ 20 % de la population d’Israël.
Dans le ciel au-dessus de Lod, une ville du centre du pays, le bruit de l’interception de roquettes par le système de défense antiaérienne rappelle le contexte dans lequel se déroule cette activité.

Les membres de l’organisme Standing Together ont organisé une activité à Lod, une ville mixte d’Israël.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
L’endroit n’a d’ailleurs pas été choisi au hasard. En 2021, des violences entre citoyens juifs et arabes avaient éclaté dans des villes mixtes comme Lod au moment où un autre conflit faisait rage à Gaza. C’est à cette époque que l’organisme Standing Together a été créé.
Dès que nous avons appris le terrible massacre qu’a commis le Hamas [le 7 octobre], nous avons su que notre mission consisterait à assurer une désescalade
, explique Itamar Avneri, un des responsables de l’organisation.
La bénévole Tikva Meron constate que le conflit a eu un impact immédiat dans les relations entre les communautés qui vivent en Israël. Je sais qu’il y a des gens qui ont perdu la foi
dans la cohabitation, affirme-t-elle.
Il y a eu une cassure parce que des événements d’une atrocité et d’une cruauté extrêmes se sont produits.
Tikva Meron, qui est infirmière, constate que la méfiance s’est installée dans les milieux de travail mixtes comme le sien. Elle raconte que récemment, une collègue arabe a été arrêtée en raison d’une publication sur les réseaux sociaux.

Tikva Meron croit toujours dans la cohabitation, bien qu’elle constate que d’autres « ont perdu la foi ».
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
Les gens écrivent en arabe et nous, la majorité des juifs, nous ne comprenons pas l’arabe, [nous] ne savons pas le lire ou l’écrire, donc le soupçon s’exprime beaucoup plus facilement
, explique-t-elle.
Appeler à la fin de la guerre ou condamner l’attaque israélienne contre Gaza est perçu comme un appui à l’ennemi pendant cette guerre
, explique Hassan Jabareen, le directeur de l’association Adalah, qui se porte à la défense de la minorité arabe.
Ça n’a pourtant rien à voir avec la défense du terrorisme ou de la violence contre Israël
, assure-t-il.
Depuis le début du conflit, cet organisme a enregistré plus de 200 cas d’arrestations ou d’interrogatoires liés à des questions de liberté d’expression ou à des activités politiques. Adalah représente aussi plus de 90 étudiants arabes qui ont été suspendus, voire expulsés de leurs établissements pour des raisons similaires.
La semaine dernière, Hassan Jabareen, lui-même avocat, a plaidé devant la Cour suprême d’Israël à Jérusalem afin de lever l’interdiction de manifester imposée aux communautés arabes du pays.

Hassan Jabareen, directeur de l’association Adalah, a défendu le droit de manifester des communautés arabes devant la Cour suprême d’Israël la semaine dernière.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
Après délibération, les juges ont décidé de maintenir la mesure, évoquant les ressources limitées au sein des forces policières.
Certains anciens députés arabes au Parlement israélien ont tout de même tenté d’organiser un rassemblement jeudi à Nazareth. Ils ont été arrêtés avant d’être relâchés.
Un sondage réalisé par l’Institut de la démocratie d’Israël révèle que si 70 % de la minorité arabe dit sentir une appartenance au pays, seulement 27 % de ses membres sont optimistes quant à l’avenir d’Israël.
L’éducation comme outil de cohabitation
À une trentaine de kilomètres de Jérusalem, il est difficile de percevoir ces tensions dans le village de Neve Shalom.
La municipalité, dont le nom arabe est Wahat as Salam, accueille une des huit écoles d’enseignement mixtes en Israël.
Ça peut paraître étrange dans le contexte, mais les gens ont décidé de quitter leurs communautés pour choisir de vivre ensemble
, explique Samah Salaime, directrice des communications et résidente de longue date de Neve Shalom.

Samah Samaime vit dans la communauté mixte de Neve Shalom-Wahat as Salam depuis de nombreuses années.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
Dans la cour de l’école, qui porte le nom d’Oasis de la paix, les enfants échangent en hébreu ou en arabe, les deux langues enseignées en classe en plus de l’anglais.
Mais il s’agit là de l’exception plutôt que de la règle. C’est très petit
, admet Samah Salaime, qui précise que ce genre d’établissement ne reçoit pas de financement de l’État israélien et dépend donc de fonds privés.
Malgré le calme qui y règne, l’école et la communauté de quelques centaines de personnes qui l’entoure ne sont pas complètement immunisées du contexte dans lequel est plongé le reste du pays.
Il y a des caméras, des alarmes et cette horrible barrière
, dit Samah Salaime en décrivant les mesures de sécurité mises en œuvre pour protéger la communauté après des attaques contre certains de ses édifices, dont l’école, en 2021.

Ahava et Aya, deux élèves de l’école Oasis de la paix, échangent soit en hébreu, soit en arabe.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
Nous savons qu’à l’extérieur, c’est difficile, et que tout le monde ne souhaite pas la paix comme nous
, constate Ahava, un élève de 11 ans de l’école Oasis de la paix.
Je crois qu’à un certain moment, nous aurons la paix, mais je ne pense pas que ça va se produire bientôt
, conclut-elle.