Des barrages hydroélectriques démantelés au nom de l’environnement aux États-Unis

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Aux abords d’une embouchure donnant sur l’océan Pacifique, Ashley Bowers, membre de la communauté autochtone des Yurok, s’adonne à ce qu’elle a toujours fait depuis sa tendre enfance : parcourir le fleuve Klamath, qui traverse l’Oregon et la Californie.

Elle aime y pêcher la ressource la plus précieuse de ce cours d’eau : le saumon. Si je pouvais vivre de la pêche, c’est ce que je ferais, parce que ça me rend heureuse, dit-elle.

Mais on ne peut s’empêcher de penser que la couleur brune de l’eau n’est pas bon signe concernant la santé du Klamath, le deuxième plus grand fleuve de la Californie. D’ailleurs, cette année, aucun poisson n’y a été pêché, au point que le festival annuel du saumon n’a pas pu servir ce mets traditionnel. Haricots, tacos et poulet étaient au menu de ce rendez-vous tant attendu.

Ahsley Bowers sourit, assise dans une embarcation.

Ashley Bowers déplore la piètre qualité de l’eau du fleuve Klamath, à cause des barrages hydroélectriques.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Il faut dire que le fleuve Klamath, troisième plus grande ressource en saumon de la côte ouest américaine, est malade depuis des décennies.

Les principaux responsables? Quatre gigantesques barrages hydroélectriques, construits entre 1903 et 1962, qui fournissent de l’électricité aux 70 000 foyers de la région.

Aux abords de ces structures, la couleur n’est plus brune, mais bien verte, symptomatique d’une épidémie d’algues vertes qui dégagent des toxines dans l’eau. Cela signifie que les eaux sont plus chaudes et que les poissons ne survivent pas dans les eaux chaudes, explique Ashley Bowers. Ils se battent donc pour respirer, essentiellement.

Le fleuve Klamath, aux abords d'un barrage.

L’un des barrages hydroélectriques qui seront démantelés prochainement.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Pour Susan Masten, la tante d’Ashley Bowers, c’est une catastrophe pour la survie de la communauté autochtone la plus importante de Californie. Nous voulons protéger cette rivière et nous battre pour elle, pour ces poissons, parce que nous voulons que notre monde Yurok existe encore pour nos enfants et nos petits-enfants, affirme Mme Masten.

Une hécatombe symptomatique

Ancienne chef de bande des Yurok, Susan Masten a entamé il y a plus de 20 ans un véritable combat pour que soient démantelés ces barrages. Une tragédie survenue en 2002 lui aura donné un funeste coup de pouce. Je les ai prévenus qu’il y aurait une hécatombe de poissons, raconte-t-elle. Et mon pire cauchemar s’est réalisé.

Plus de 34 000 poissons sont morts. Depuis, le saumon est proche de l’extinction dans le fleuve. Selon le directeur des pêcheries des Yurok, Barry McCovey fils, les impacts des barrages sur l’écosystème de toute la région sont gigantesques.

Nous dépendons vraiment de la santé de l’écosystème du fleuve Klamath et vous pouvez constater que la santé de la population se détériore à mesure que la santé de la rivière se détériore.

Des algues vertes dans le fleuve Klamath.

Le fleuve Klamath, en Oregon et en Californie, est aux prises avec les algues vertes, qui génèrent des toxines dans l’eau.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Mais, après plus de 20 ans de bataille, les vœux des Yurok commencent à être exaucés.

Le premier des quatre barrages de la région a en effet été démantelé il y a quelques semaines, et les trois autres connaîtront le même sort d’ici l’automne 2024. Un projet qui coûtera entre 450 et 500 millions de dollars américains, une fois complété.

Partage des coûts

La facture partagée entre l’État de la Californie, l’Oregon, avec lequel elle travaille en partenariat… et la compagnie d’électricité Pacificorp. Celle-ci exploitait ces installations dans le cadre d’une licence de 50 ans, sous la juridiction de la Commission fédérale de régulation de l’énergie. Cette licence ayant expiré en 2006, la renouveler aurait exigé une dépense d’un demi-milliard de dollars.

Mark Bramson, devant l'un des barrages qui seront démantelés en Californie.

Mark Bramson, PDG de la Klamath River Renewal Corporation

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Après de longues négociations, Pacificorp a donc cédé la propriété des barrages à la Klamath River Renewal Corporation, une vaste coalition militant pour leur démantèlement.

Il s’agit du plus grand projet de démantèlement de barrage jamais entrepris aux États-Unis et peut-être même dans le monde.

Il ajoute que Pacificorp a remplacé la capacité de production de ces barrages par d’autres installations ailleurs. Ces ouvrages n’avaient donc plus de sens économiquement parlant.

Plus de 20 ans après le début de son combat, Susan Masten savourait enfin sa victoire. Nous étions tellement heureux que nous ne pouvions même pas y croire, et nous avons pleuré parce que nous étions si heureux, raconte-t-elle, les larmes aux yeux.

Susan Masten, ancienne cheffe de bande des Yurok.

Susan Masten s’est battue pendant une vingtaine d’années pour le démantèlement des barrages sur le fleuve Klamath.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Le projet permettra d’ouvrir une porte sur plus de 600 kilomètres d’habitat pour le saumon. Cela profitera non seulement aux poissons, mais aussi aux insectes qui vivent dans la rivière ainsi qu’aux aigles, aux ours, aux forêts et à tous les poissons qui pourront de nouveau frayer en amont des barrages. Les nutriments d’origine marine se retrouveront ainsi dans les sols et les arbres s’en nourriront, explique le biologiste Barry McCovey fils.

Revitalisation des berges en cours

Mais revitaliser un fleuve n’est pas une mince affaire. Il faut aussi restaurer l’écosystème sur les berges agrandies.

C’est ici qu’entre en scène l’entreprise Resource Environmental Solutions, qui a reçu le mandat d’ensemencer et de planter près de 100 espèces différentes de végétaux. Le directeur des affaires communautaires, région Ouest, de RES, Dave Meurer, explique que ce sont des membres de la communauté Yurok qui sont allés dans les champs pour cueillir les semences à la main et les mettre dans des petits sacs de papier brun. Des plantes ont ensuite été cultivées de façon exponentielle pour produire un total de 17 milliards de semences de végétaux indigènes, dit-il.

À quoi ressemblera le fleuve lorsque les barrages auront disparu? Les réservoirs créés par les barrages vont être vidés très lentement, sur une période de quelques mois. Il y aura donc une augmentation du niveau de l’eau, mais rien de comparable à une inondation. Le fleuve sera juste plus sain et ne présentera plus autant de problèmes en termes de qualité de l’eau.

Le fleuve Klamath en Californie.

La revitalisation des berges élargies du fleuve Klamath prendra plusieurs années après le démantèlement des barrages de la région.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Une contestation limitée

Mais une centaine de résidents restent sceptiques. Ceux qui vivent aux abords de ce lac pourraient voir leur paysage modifié. Rick Dowdy s’est battu en vain pour le statu quo des barrages. La valeur de sa résidence, dit-il, s’est dépréciée depuis le début de la bataille contre ces structures. Il ne veut pas abdiquer et fera tout pour garder le lac devant sa résidence.

Cependant, pour les acteurs du projet, ces inquiétudes ne sont pas fondées. Nous avons essayé de les rassurer pour dissiper la désinformation autour du projet, explique Mark Bramson, PDG de la Klamath River Renewal Corporation. Tout le monde bénéficiera de ce démantèlement de barrages.

Barry McCovey fils, de la communauté Yurok en Californie.

Barry McCovey fils estime que le démantèlement des quatre barrages sera bénéfique pour l’ensemble de l’écosystème du fleuve et pour ses résidents riverains.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Aussi titanesque soit-il, ce projet provoque une nouvelle façon de penser et devrait inspirer d’autres États, estime Barry McCovey fils. Ils ne pensaient qu’à l’électricité bon marché, mais nous ne pouvons plus penser comme ça. Nous allons disparaître si nous continuons à penser comme ça, dit-il.

Ce chantier majeur aura donc des répercussions positives sur la faune et la flore de cette région aux portes de l’océan Pacifique. Pour Susan Masten, les Yurok et les autres riverains, les images de milliers de poissons morts feront partie du passé. Le fleuve va guérir de lui-même et mes arrière, arrière, arrière-petits-enfants n’auront jamais à revivre cela, résume-t-elle, des trémolos dans la voix.

Un barrage sur le fleuve Klamath en Californie.

La facture d’environ 500 millions de dollars américains pour le démantèlement des quatre barrages est partagée entre l’État de la Californie, l’Oregon et la compagnie d’électricité Pacificorp.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Tout ce qu’il reste à faire maintenant, pour ceux qui veulent reprendre la pêche, comme Ashley Bowers, c’est d’être très patients. Cette restauration du fleuve aura l’impact le plus important sur nos pêcheries, mais cela prendra du temps. Il ne faudra pas juste cinq ans pour que nos saumons soient de retour, il faudra des années. Mais je suis optimiste.

Source :Radio Canada

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