De Gaza à Montréal : « Dans ma tête, ce qui se passe est irréel »

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« Dieu merci, je suis arrivée saine et sauve avec mes quatre enfants au Canada. » D’une voix légèrement cassée, Bissane Eid essaie de se remémorer les 38 derniers jours qu’elle a passés dans la bande de Gaza, en proie à la guerre qui se poursuit sans répit entre l’armée israélienne et le Hamas depuis l’attaque sanglante menée par le mouvement palestinien le 7 octobre.

Jointe par téléphone dans la maison de ses parents, à Longueuil, le corps affaibli par une fièvre et par plus d’un mois d’angoisse, Bissane Eid est alitée depuis son arrivée au Canada.

Détentrice d’une maîtrise en génie civil de l’Université Concordia, cette mère de quatre jeunes enfants, âgés respectivement de 6 ans, 4 ans, 2 ans et 7 mois, se trouvait avec son mari et sa famille à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, lorsque la guerre a éclaté.

Le 13 octobre, l’armée israélienne a ordonné aux quelque 1,1 million d’habitants du nord du territoire palestinien de se diriger vers le sud avant le début de son offensive terrestre, mais les bombardements n’ont pas épargné cette partie du territoire, complètement assiégée.

La maison de Bissane Eid a d’ailleurs été touchée et partiellement endommagée, raconte-t-elle.

La guerre avait commencé il y a six jours, il était 2 h du matin et on dormait tous dans le salon parce c’était soi-disant la pièce la plus sécuritaire de la maison, dit-elle. Heureusement qu’on n’était pas dans les chambres à coucher. Il y a eu quelques blessures, mais rien de grave.

Craignant pour sa vie et celle de ses enfants, Bissane Eid s’est alors réfugiée chez des proches dans le centre de la bande de Gaza, en attendant l’ouverture de la frontière de Rafah d’où sont menées les évacuations des ressortissants étrangers vers l’Égypte.

Elle y est restée une semaine, la peur au ventre. Je pensais que la situation dans le centre était plus sécuritaire, mais c’était vraiment l’horreur. Il y avait des bombardements toutes les nuits. C’était très aléatoire, dit-elle.

Des agents canadiens près de la frontière de Rafah qui sépare la bande de Gaza de l'Égypte.

Des agents canadiens près de la frontière de Rafah qui sépare la bande de Gaza de l’Égypte.

Photo : Getty Images / Ali Moustafa

Après avoir eu écho d’une possible évacuation de ressortissants canadiens, elle a décidé de retourner dans le sud, chez d’autres proches. J’avais peur de rater la sortie, car le voyage du centre de la bande de Gaza vers la frontière de Rafah est long et c’est difficile de trouver une voiture capable de nous y emmener, explique-t-elle.

Il n’y a pas de carburant, donc il y a quelques voitures qui roulent avec de l’huile de friture. Il faut trouver des solutions de rechange car, sinon, c’est vraiment difficile de se déplacer.

Une fois arrivée à Rafah avec ses enfants, Bissane Eid a attendu toute une journée, mais en vain. La frontière est restée fermée ce jour-là. J’ai eu de la chance, car une heure après mon départ de là, la frontière a été bombardée, dit-elle.

Bissane Eid a refait le trajet de Khan Younès vers Rafah plusieurs fois avec l’espoir, chaque fois, d’être évacuée vers l’Égypte. Finalement, elle est parvenue à traverser la frontière dimanche. Dans ma tête, j’ai l’impression que tout ce qui se passe à Gaza est irréel à cause de l’horreur qu’on a vue et entendue.

Des enfants et des femmes s'entassent en attendant une distribution de nourriture à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

Des enfants et des femmes s’entassent en attendant une distribution de nourriture à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

Photo : Associated Press / Hatem Ali

Soumise à un blocus israélien terrestre, aérien et maritime depuis plus de 15 ans, la bande de Gaza est placée en état de siège complet depuis le 9 octobre par Israël, qui y a coupé les approvisionnements en eau, en électricité et en nourriture.

Il n’y a plus d’eau potable à Gaza et la nourriture devient de moins en moins disponible, raconte Bissane Eid. Mes enfants ont pu boire de l’eau propre une fois arrivés en Égypte. Ils étaient si contents qu’ils m’ont dit : « Mmm, maman, l’eau est tellement bonne ici! »

C’est une vraie catastrophe humanitaire, lâche-t-elle encore.

Son mari, quant à lui, se trouve toujours dans la bande de Gaza. N’étant ni citoyen canadien ni résident permanent, il a préféré rester dans le territoire palestinien pour ne pas retarder le départ de sa femme et de ses enfants.

Des personnes se tiennent à proximité d'un bâtiment détruit.

Une frappe israélienne a touché la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 5 novembre dernier.

Photo : Getty Images / MOHAMMED ZAANOUN / AFP

Pour lui, la priorité était que je sorte avec les enfants le plus tôt possible. Il m’a dit : « Vas-y toi, et on verra après quoi faire », explique Bissane Eid. Mais sans connexion Internet, on n’a pas de ses nouvelles. Je suis très inquiète pour toute ma famille qui est encore là-bas.

Hadi Eid, le père de Bissane, sait de quoi elle parle. Il a passé le dernier mois accroché au téléphone, à Longueuil, faisant le lien entre sa fille et les agents d’Affaires mondiales Canada qui organisent les évacuations.

Les coupures de communications durent parfois plus de 24 heures. Donc, on n’avait aucune idée de ce qui se passait avec eux pendant 24 heures, alors qu’on savait qu’il y avait des bombardements dans la ville où ils se trouvaient, raconte-t-il à Radio-Canada.

Chaque fois que je vois la photo d’un enfant tué à Gaza, j’imagine que c’est un de mes petits-enfants. C’est vraiment très difficile à vivre.

Une fois que Bissane et ses enfants sont arrivés en Égypte, M. Eid a immédiatement acheté les billets d’avion pour leur retour à Montréal. Les agents canadiens m’ont appris qu’ils ne pouvaient pas fournir le billet d’avion à ma fille et à ses enfants, mais je leur ai dit : « Je ne vous demande pas de le faire, je veux juste que ma fille sorte de là. »

Des Palestiniens vérifient les listes portant les noms des personnes autorisées à traverser la frontière depuis Gaza vers l'Égypte à Rafah.

Des Palestiniens vérifient les listes de noms des personnes autorisées à traverser la frontière depuis Gaza vers l’Égypte à Rafah.

Photo : (Hatem Ali/The Associated Press )

M. Eid, installé depuis plus de 20 ans au Canada, a encore plusieurs frères et soeurs dans la bande de Gaza. Il se dit heureux de revoir Bissane et ses enfants chez lui, mais, en même temps, on pense sans cesse à nos familles qui y sont restées. Notre famille, c’est tout le peuple palestinien, vous comprenez?

Au total, 367 Canadiens, résidents permanents et membres de leurs familles ont pu quitter le territoire palestinien assiégé jusqu’à présent. Mercredi, aucun Canadien n’a été autorisé à quitter la bande de Gaza par le poste frontalier de Rafah vers l’Égypte, tout comme mardi.

La guerre a été déclenchée par l’attaque menée par la branche armée du Hamas le 7 octobre sur le sol israélien, sans précédent depuis la création d’Israël. Environ 1200 personnes ont été tuées, essentiellement des civils massacrés ce jour-là, selon les autorités.

En représailles, Israël a juré d’anéantir le Hamas, organisation classée terroriste par le Canada, pilonnant sans relâche la bande de Gaza. Les bombardements israéliens ont fait 11 500 morts, majoritairement des civils, parmi lesquels 4710 enfants, selon les autorités locales.

Avec les informations de Agence France-Presse et La Presse canadienne

Source :Radio Canada

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