
Depuis le début de l’année, les coupures de courant ont lieu tous les jours. À ce rythme, le nombre de délestages en 2023 pourrait bien battre le record de l’an dernier.
S’il y a délestage, c’est parce qu’il n’y a pas assez d’électricité pour tous les Sud-Africains. Cette crise dure depuis des années. On n’aurait jamais dû en arriver là
, s’indigne Wayne Duvenage, PDG d’une organisation d’action civile de lutte contre la corruption (OUTA, ou Organisation Undoing Tax Abuse).
Comme tant d’autres en Afrique du Sud, il souligne que plusieurs facteurs ont mené à cette pénurie. Il pointe notamment le mauvais entretien des centrales vieillissantes, les petits arrangements financiers qui favorisent le parti au pouvoir ou encore une mauvaise gestion : la compagnie nationale d’électricité, ESKOM, détentrice du monopole, est fortement endettée.
« Cette situation est entièrement créée par l’être humain. Et la faute en revient à un piètre gouvernement. Il n’y a vraiment aucune autre excuse pour cette crise. »
Le militant anticorruption poursuit sur sa lancée : Ça va très mal. Les entreprises ont tout simplement de la difficulté à fonctionner. Et quand cela se produit, vous perdez votre capacité à attirer plus d’investisseurs, vous perdez vos employés qualifiés. Le pays est en train de s’effondrer et il faut absolument que ça s’arrête. L’Afrique du Sud était sur une bonne lancée, avec assez d’énergie et de motivation pour faire avancer son économie. C’est fini. On a perdu tout ça. Et ça n’augure rien de bon pour maximiser tout le potentiel, ici, et pour les générations futures.
Tous touchés, mais pas tous égaux côté solutions
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p class= »e-p »>Il n’y a pas à chercher longtemps pour tomber sur un commerçant mis en difficulté par les délestages.
Dans une artère d’un quartier de Johannesburg, Mozart, un barbier, explique qu’il arrive à s’en sortir grâce au système D. C’est ce qu’on appelle un convertisseur, avec une batterie. Pour ne pas retarder mon business
, précise-t-il.
Magdalene n’a pas cette chance. Elle explique que sa génératrice a rendu l’âme. Alors, quand il n’y a pas d’électricité, elle perd beaucoup d’argent chaque minute qui passe
.
Même son de cloche chez Richard. Il lui arrive de jeter de la viande, faute de pouvoir la garder au frais lors des coupures de courant. Et il n’a pas de plan B, faute de moyens.
Pas question de laisser le thermomètre grimper dans la chambre froide de l’entreprise de pompes funèbres que dirige Fanyana Khumalo à Tembisa, près de Johannesburg. Il a donc acheté une génératrice plus puissante que la précédente. Elle se déclenche automatiquement lors des interruptions de courant. Mais cette génératrice est très gourmande en diesel, et ça coûte très cher.
L’entreprise se maintient difficilement à flot et pige dans ses réserves pour éponger ses pertes. Pas question pour autant, assure le directeur, de répercuter les dépenses additionnelles auprès d’une clientèle déjà éprouvée par le deuil d’un proche.
Face aux coûts qui grimpent, plusieurs entreprises de pompes funèbres accélèrent la tenue des obsèques ou modifient l’embaumement pour mieux préserver les corps.
L’entreprise dont Leon Human est directeur technique s’est elle aussi dotée de génératrices. Mais il craint de perdre des parts de marché en raison des retards occasionnés par les délestages chez ses fournisseurs et chez certains distributeurs.
Vols et vandalisme
Pour en ajouter à cette crise de l’électricité : le réseau sud-africain est régulièrement visé par des vols et du vandalisme lorsque le courant est interrompu. C’est dire que les occasions ne manquent pas en cette période de délestage quotidien un peu partout au pays.
Il est probable qu’une surtension, causée par le sabotage d’un régulateur, soit à l’origine du feu qui a ravagé il y a quelques jours une partie de la boulangerie Not Bread Alone à Johannesbourg, selon les premiers constats.
Le propriétaire s’en désole d’autant plus qu’il misait sur une bonne rentrée cet automne (qui commence sous peu dans l’hémisphère sud), par exemple avec les conférences et autres événements pour lesquels il offre un service de traiteur.
De nombreux postes d’électricité sont mal ou pas du tout sécurisés en Afrique du Sud.
L’un d’eux a été pillé l’automne dernier durant une interruption de courant. Les voleurs sont repartis avec 18 câbles de cuivre qui valent leur pesant d’or, selon la conseillère municipale du quartier, Nicole Van Dyk. Elle ajoute qu’en raison de ce vol, le délestage qui devait durer deux heures s’est allongé à quatre heures sans électricité pour plus de 100 000 résidents.
La conseillère ajoute que la communauté s’est mobilisée depuis cet incident pour faire des rondes régulières avec des services privés de sécurité.
Mathabo Békimbia-Tchoffo, une résidente, affirme que tous sont soudés pour protéger ce que l’on peut, dans un esprit humanitaire, l’esprit « Ubuntu »
.
Mère célibataire et membre de la classe moyenne, elle songe à acheter des panneaux solaires pour sa maison afin de faciliter le télétravail et les devoirs des enfants. Mais, à l’idée de s’endetter et de perdre ensuite, peut-être, son emploi, elle en perd le sommeil.
Désenchantement politique
Le militant anticorruption Wayne Duvenage est également un défenseur des droits civiques. Pour lui, la crise de l’électricité illustre tout ce qui ne va pas en Afrique du Sud. Et il déplore que ce soit les plus pauvres qui souffrent le plus de la crise de l’électricité.
Ils reculent socialement, piégés par le manque d’accès à l’électricité. Vous savez, nous vivons dans le pays le plus inégalitaire au monde. Plus de personnes sombrent dans la pauvreté qu’elles n’en émergent. Avec notre jeune démocratie, on devrait être bien plus avancés pour réparer les maux du passé
, conclut-il.
Le mois dernier, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, sous pression, a décrété l’état de catastrophe nationale. Il affirmait que cela lui donnait les moyens d’aider la population, notamment les agriculteurs et les commerçants, à surmonter la crise de l’électricité. Il a aussi réitéré sa promesse de restructurer la compagnie publique d’électricité Eskom.
Ils sont toutefois nombreux à douter que les choses changent vraiment.
C’est le cas de Lawrence Sithole, que nous retrouvons sur le site Soweto Towers, une ancienne centrale électrique reconvertie en centre de loisirs dans l’immense agglomération qui a eu comme résident célèbre l’ex-président et icône de la lutte contre l’apartheid, Nelson Mandela.
Il n’y a aucun signe qui laisse penser à une résolution prochaine. Alors tu apprends à vivre avec. Tu achètes ce qu’il faut, tu t’assures d’être prêt [pour les délestages]. C’est la nouvelle normalité
, lance-t-il.
Mathabo Békimbia-Tchoffo le reconnaît, elle est déçue. Parce qu’elle avait tellement été optimiste, elle avait célébré l’arrivée de la démocratie. Mais ce parti est au pouvoir depuis plus de 27 ans. Et la situation ne fait que se détériorer. Le taux de chômage est élevé, les taux d’intérêt ne cessent de grimper. On est vraiment stressés
, dit-elle.
Le parti au pouvoir, l’ANC (Congrès national africain), formation historique de Nelson Mandela, fait déchanter.