Eriel Deranger est la directrice générale et cofondatrice de l’organisme Indigenous Climate Action qui existe depuis fin 2015. Cette membre de la Nation Chipewyan d’Athabasca (Alberta) était aux COP15 (Copenhague, 2009) et COP21 (Paris, 2015). Elle sera à Dubaï, aux Émirats arabes unis, pour la COP28 qui se déroulera du 30 novembre au 12 décembre.
Espaces autochtones : Quel souvenir gardez-vous des COP précédentes auxquelles vous avez assisté?
Eriel Deranger : Je suis allée à la COP15 de Copenhague en 2009. Il y avait d’énormes pressions pour adopter les accords de Copenhague, mais on a échoué. Lors de cette COP, il y avait beaucoup de voix qui demandaient à ce que les droits de la personne, les droits des Autochtones soient inclus. Mais il y a eu des vetos de la part de plusieurs pays.
Entre 2009 et 2015, tellement de choses ont été faites par la société civile pour que les droits des Autochtones soient plus considérés dans les accords climatiques internationaux. D’ailleurs, à Paris [lors de la COP21, NDLR], c’était puissant de voir l’union entre la société civile et le mouvement des droits autochtones.
Mais c’était aussi un peu triste, car nous n’avons toujours pas de chaise à la table [des négociations, NDLR], on doit encore se reposer sur les gouvernements coloniaux pour faire part de nos besoins et de nos demandes politiques. On n’a toujours pas le moyen de parler pour nous-mêmes.
Ça m’a donc laissé un goût amer : on nous a reconnus, il y a eu des célébrations, mais c’était difficile de maintenir ces célébrations, alors qu’on n’a toujours pas le pouvoir de porter nos messages nous-mêmes.

L’équipe d’Indigenous Climate Action s’implique pour donner une voix aux Autochtones dans la lutte contre les changements climatiques. (Photo d’archives)
Photo : CBC / Gracieuseté d’Eriel Deranger
EA : Dans quelle mesure la présence autochtone est-elle pertinente dans un rendez-vous comme la COP?
Eriel Deranger : La réalité est que les Autochtones ont tiré la sonnette d’alarme concernant les changements climatiques. Nous avons aussi plaidé pour faire évoluer nos états d’esprit sur la manière dont on interagit avec notre environnement.
Les Autochtones sont reconnus comme étant les protecteurs, les gardiens, de 80 % de la biodiversité et la protection de cette biodiversité est indispensable pour résoudre la crise climatique. En plus de ça, nos communautés ont été les leaders dans ce qui touche à la protection du territoire et à l’intégration des nouvelles technologies. On fait ça dans un cadre de travail qui est généralement en dehors du statu quo colonial. Les Autochtones ne demandent pas seulement qu’on reconnaisse leur contribution, mais aussi les moyens et les systèmes qui nous ont permis de nous structurer.
On ne veut pas juste être un outil, mais on veut avoir notre propre voix et notre propre souveraineté pour parler pour nous et ne pas seulement compter sur les gens qui nous ont colonisés pour le faire à notre place.

Le département de la Guyane française fait partie d’une des régions les plus riches du monde en matière de biodiversité, tant animale que végétale. (Photo d’archives)
Photo : afp via getty images / JODY AMIET
EA : Quand vous allez dans ces rendez-vous internationaux, qui sont vos alliés?
Eriel Deranger : Nos alliés prennent différentes formes. Les pays comme le soi-disant Canada sont des alliés en ce qui concerne la reconnaissance des droits autochtones devant la scène internationale. Le problème est que les promesses qu’ils font aux Autochtones ne se traduisent pas toujours par des actions ou des changements dans leurs frontières.
Mais je ne veux pas minimiser ce que les alliés peuvent nous apporter. On a besoin d’alliés, c’est sûr. Nous en avons aussi dans les pays d’Amérique latine, certains pays d’Afrique. Mais nos principaux soutiens sont les organisations environnementales, de défense des droits de la personne, et la société civile. Ensemble, on plaide pour que l’approche à la crise climatique soit plus liée à la question des droits de la personne, alors que les gouvernements se concentrent surtout à trouver un équilibre entre l’environnement et l’économie. D’ailleurs, si on continue de faire peser dans la balance l’économie, on va encore manquer nos objectifs.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, était à la cérémonie d’ouverture de la conférence COP15 de l’ONU sur la biodiversité à Montréal, le mardi 6 décembre 2022. (Photo d’archives)
Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson
EA : Pensez-vous que les connaissances autochtones gagnent en crédibilité par rapport à la science occidentale notamment?
Eriel Deranger : Il y a une évolution à ce niveau, notamment, car beaucoup de travail a été fait ces cinq dernières années. Au sein des Nations unies, un organisme a justement été mis en place pour compiler les meilleures pratiques sur la manière d’utiliser les connaissances et les innovations autochtones pour aider à trouver des solutions. On est passé de oui, vos savoirs sont super, c’est très spécial
à quelque chose qui va plus loin. C’est un changement important de parler de nos connaissances, de leur accorder une valeur et de les appliquer pour trouver des solutions.

Le savoir traditionnel autochtone sur les plantes médicinales est transmis dans les communautés. (Photo d’archives)
Photo : Facebook/Kinawit
EA : Les COP sont une occasion de rencontrer d’autres Autochtones. Que vous apporte cette union?
Eriel Deranger : C’est l’une des choses très puissantes des rencontres des Nations unies. Ce n’est pas juste une opportunité pour faire entendre nos droits et nos connaissances, mais c’est aussi un moment pour partager nos histoires, renforcer la camaraderie et notre capacité à partager nos connaissances, nos batailles et nos stratégies. C’est une opportunité pour trouver une stratégie commune.
EA : Qu’est-ce que vous attendez de la COP28 qui s’en vient?
Eriel Deranger : C’est une grande question… Il y a beaucoup de points de la COP21 à Paris qui n’ont pas été respectés alors qu’on s’était entendus là-dessus. L’un des aspects les plus importants est le marché du carbone et comment on peut s’assurer qu’on ne crée pas une fausse solution qui ne réduit pas vraiment les émissions.
L’autre point essentiel concerne les pertes et dommages et la finance climatique. Vingt pays sont les principaux responsables des émissions de GES qui ont de graves conséquences. La question est de savoir comment on répare ces conséquences de manière équitable et juste et comment on s’assure que les Autochtones qui vivent parfois dans ces pays bénéficient aussi de compensations. On a vu que dans le nord du Canada notamment, les Autochtones portent ce fardeau.
Depuis la conférence de l’ONU sur la biodiversité à Montréal, il y a une autre façon de voir la gestion du territoire : au lieu de se concentrer sur les émissions, on se concentre plutôt sur la gestion du territoire et l’agriculture. On ne peut pas juste parler de réduire les émissions, mais aussi de comment on gère le territoire. Cela touche les droits des Autochtones.

Lors de la COP sur la biodiversité à Montréal, des femmes autochtones avaient interrompu une conférence de presse du premier ministre Justin Trudeau pour dénoncer la convoitise dont leurs territoires font l’objet. (Photo d’archives)
Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson
EA : Que pensez-vous du fait que, cette année, la COP se tienne aux Émirats arabes unis?
Eriel Deranger : C’est de l’hypocrisie. Je pense que c’est bénéfique pour eux, ça les aide dans leur politique de relations publiques. Même le président de la COP est le président d’une entreprise pétrolière, alors qu’on sait que cette industrie et l’un des plus gros émetteurs de la planète, mais aussi la cause de la destruction de nos écosystèmes. Ça semble absurde de donner l’opportunité à un pays comme les Émirats arabes unis d’accueillir cet événement, mais c’est aussi une occasion de souligner [cette contradiction]. On ne peut pas autoriser les pollueurs et les entreprises à déterminer les négociations. Ç’a été un problème. On dit souvent que les COP sont devenues une exposition géante, notamment des innovations technologiques, mais il faut plutôt parler de la meilleure manière dont on va s’occuper de cette crise climatique. Il faut absolument passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables.
Alors oui, c’est hypocrite, mais ce n’est pas au pays hôte qu’il appartient de déterminer le résultat de ce rendez-vous. Au moins, il nous reste ça.