Au cœur d’une thérapie psychédélique

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« C’est triste, n’est-ce pas? » confie Florence Moureaux, allongée sur son divan. « Il faut accepter la tristesse », lui répond avec empathie le Dr Houman Farzin, à son chevet. Cette scène est typique de la psychothérapie. Mais à une différence près : Florence est en train de vivre un voyage psychédélique intense, sous l’influence de la psilocybine, l’ingrédient actif des champignons dits « magiques ».

On connaît depuis longtemps l’effet puissant qu’ont sur l’esprit les drogues psychédéliques. Les champignons du genre Psilocybe, couramment appelés champignons magiques, sont utilisés depuis des millénaires dans des rituels de guérison autochtones. Le LSD, ou diéthylamide de l’acide lysergique, a d’autre part été synthétisé en 1938 par le chimiste suisse Albert Hoffman, qui a accidentellement découvert son effet psychoactif en 1943.

Dès le début des années 1950, des psychiatres ont compris que ces substances permettaient de décupler l’efficacité de la psychothérapie. Ce qui est intéressant avec les psychédéliques, c’est leur capacité à nous secouer, à nous permettre de nous évader de ces petites prisons mentales que l’on s’est créées, explique le chercheur en neurosciences Manesh Girn, de l’Université de la Californie à San Francisco (UCSF).

Mais au tournant des années 1960, tout a basculé. Le secret est sorti du laboratoire. Cela a envahi la société, explique le psychiatre et chercheur américain Charles Grob, de l’Institut Lundquist, à Los Angeles. À l’époque hippie, les psychédéliques sont passés de traitement psychiatrique prometteur à drogue récréative. Leur consommation incontrôlée a mené la majorité de la planète à les classer comme drogues illégales, au début des années 1970.

Toutefois, au courant de la dernière décennie, de nombreuses recherches scientifiques ont ramené à l’avant-plan le potentiel thérapeutique des psychédéliques en santé mentale. Depuis quelques années, Santé Canada autorise au cas par cas l’utilisation de la psilocybine, l’ingrédient actif des champignons magiques, pour traiter la dépression réfractaire et l’anxiété en fin de vie.

Un scientifique dépose des champignons séchés dans une boîte de Pétri.

La psilocybine, extraite des champignons « magiques », a un potentiel thérapeutique.

Photo : iStock

Florence Moureaux fait partie de ceux qui ont pu bénéficier de ce traitement.

Lorsqu’elle a reçu son diagnostic de cancer métastatique en phase terminale, la vie de Florence a perdu tout son sens. Ça a été un choc, dit-elle. C’est : « Voilà, c’est fini. Ma vie est terminée. » Et c’est extrêmement douloureux.

Puis elle a entendu parler de la psychothérapie assistée par psychédéliques, et elle y a vu un moyen d’atténuer sa souffrance psychologique.

La solution, c’est que j’apprivoise cette idée de la mort. Et c’est ça qui m’a poussée à faire la démarche.

Portrait de Florence Moureaux.

Florence Moureaux s’est prêtée à plusieurs séances de thérapie psychédélique, au cours des derniers mois.

Photo : Radio-Canada / Nicolas Chentrier

Elle a été prise en charge par le médecin en soins palliatifs Houman Farzin, un expert en thérapie psychédélique de l’Hôpital général juif, à Montréal. Notre objectif est de réduire son anxiété, sa dépression et sa souffrance existentielle, explique-t-il.

La psychothérapie assistée par psychédélique ne consiste pas qu’à avaler des champignons. Elle débute par un processus de plusieurs mois, durant lesquels le patient se prépare mentalement pour l’expérience. Florence a suivi cette étape avec le Dr Farzin ainsi qu’une psychothérapeute.

La préparation sert à établir une alliance thérapeutique et un lien de confiance avec le patient, explique le Dr Farzin.

Pouvoir faire confiance à ces deux personnes, à mes guides, comme on les appelle, c’était fondamental, souligne Florence.

Dans la dernière année, Florence Moureaux a eu l’occasion de suivre plusieurs séances de psychothérapie assistée par psilocybine, qui ont chacune duré toute une journée. L’équipe de Découverte l’a accompagnée pendant l’une de ces séances.

Illustration d'une femme assise sur un divan, face à un thérapeute.

Les psychédéliques sont de plus en plus utilisés en psychothérapie.

Photo : Radio-Canada / Louis-Philippe Boudreau

Un voyage émotionnel

Ce matin du 11 juin dernier, Florence s’installe sur son divan, dans son salon, qu’elle a confortablement aménagé pour l’occasion. Ses deux thérapeutes sont assis à son chevet. Autour d’elle, un vase avec des fleurs et des photos de famille complètent l’ambiance. Puisque les psychédéliques augmentent la sensibilité à l’environnement, tout est mis en œuvre pour que la pièce soit la plus chaleureuse possible.

La musique, qui jouera durant les cinq heures de l’expérience, a été choisie avec soin par le Dr Farzin. La musique est extrêmement puissante, note-t-il. Elle provoque des émotions et facilite la libération de ce qu’on a accumulé durant toute une vie.

Florence avale 25 milligrammes de psilocybine synthétique, une forte dose. Elle s’allonge, un masque sur les yeux, prête pour ce voyage imprévisible. Les thérapeutes à ses côtés lui laissent le champ libre pour s’exprimer, prêts à la rassurer lorsque nécessaire.

Durant cinq heures, elle partage ses peurs, ses émotions, ses prises de conscience et les sensations inusitées que la psilocybine lui fait vivre.

Ne pas pouvoir respirer, ou se noyer, c’est pareil, lance-t-elle au bout d’une heure, alors que la substance atteint son plein effet.

Elle se souvient plus tard de ce qui l’animait à ce moment-là : Là, je crois que j’étais dans un moment de la séance où l’anxiété causée par la mort était très forte.

Les émotions négatives déferlent au cours des premières heures.

Elle partage ses pensées avec les thérapeutes au fur et à mesure qu’elles émergent. Le paradis… la tristesse… la souffrance… la tristesse quand je vois l’état du monde… Et oui, parfois, ça me fait peur. C’est vraiment triste.

La psilocybine fait qu’on a l’esprit qui marche à 100 milles à l’heure.

Illustration de la formule chimique de la psilocybine.

Formule chimique de la psilocybine.

Photo : Radio-Canada / Louis-Philippe Boudreau

On commence à peine à comprendre ce qui se passe dans un cerveau sous l’effet d’une drogue psychédélique. Mais l’imagerie médicale permet d’apporter des éléments de réponse.

Des études ont démontré qu’un grand nombre de zones qui ne communiquent pas entre elles en temps normal se connectent temporairement sous l’effet de la psilocybine ou du LSD. L’activité dans ces zones s’intensifie également. Le cortex visuel, par exemple, se retrouve connecté à la majorité du cerveau, notamment aux régions associées à la mémoire, explique le chercheur en neurosciences Manesh Girn.

Par contre, d’autres zones du cerveau voient leur activité réduite. C’est le cas du réseau de mode par défaut, une région qui s’active lorsque l’on laisse libre cours à ses pensées. Cette zone est suractive chez ceux qui souffrent d’anxiété ou de dépression, a-t-on constaté. Cela les mène à ressasser des pensées négatives. En réduisant l’activité du réseau de mode par défaut, la psilocybine aide à réduire les ruminations.

À voir et à lire :

À un moment de la séance, Florence prend conscience de cet effet.

Le jugement… ça détruit tout, dit-elle aux thérapeutes. Le jugement va et vient. J’ai besoin de l’accepter.

Le thalamus voit aussi son activité réduite par la molécule de psilocybine. Cette structure du cerveau permet de filtrer l’information qu’il reçoit, afin de ne laisser passer que ce qui est important. Dans certains troubles de santé mentale, ce filtre amène à tout voir négativement.

Pendant l’expérience, on est ailleurs. Ces filtres-là arrêtent. Notre perspective change, souligne le psychiatre Nicolas Garel.

Bien que l’action des psychédéliques sur le cerveau ne dure que quelques heures, leur effet sur la pensée peut persister. À partir du moment où on voit la réalité d’une façon autre, on se rend compte que notre réalité est teintée par notre filtre personnel, ajoute le Dr Garel.

C’est ce qu’a constaté Florence durant sa thérapie.

Je pense que la psilocybine […] permet d’aller voir à des niveaux qui ne sont pas forcément accessibles dans un état de conscience normal.

Au fil des heures, les émotions négatives se dissipent pour faire place à de l’émerveillement.

C’est vraiment beau, la musique, dit-elle, les yeux fermés, ses écouteurs sur les oreilles.

Est-il possible de ressentir la musique dans le corps? lui demande le Dr Farzin.

Oui. Cette musique me fait penser à une salle magnifique, répond-elle.

Illustration d'un cerveau dans lequel s'opèrent des connexions.

La psilocybine agit simultanément sur plusieurs zones du cerveau.

Photo : Radio-Canada / Louis-Philippe Boudreau

Des travaux récents menés sur des animaux ont permis de constater que les psychédéliques amènent des changements permanents dans le cerveau, en favorisant la formation de nouvelles connexions entre les neurones

Ça, c’est hyper intéressant parce que des neurones qui forment des nouvelles connexions, c’est des neurones qui sont prêts à apprendre de nouvelles choses.

Toutes ces actions sur le cerveau exacerbent les émotions et font vivre une expérience que plusieurs qualifient de la plus marquante de leur vie.

L’expérience est combinée à un travail en psychothérapie qui se poursuit dans les mois suivant la séance.

Les psychédéliques aident à adopter de nouveaux comportements, de nouvelles perspectives. Puis avec la thérapie, on peut former de nouvelles habitudes, explique Manesh Girn.

L’effet des psychédéliques, notamment pour soigner la dépression et l’anxiété, est si marqué que plusieurs les considèrent comme un traitement miracle. Mais les experts rappellent qu’il s’agit encore d’un traitement expérimental et que les résultats ne sont pas garantis.

C’est super important de passer le message que ce n’est pas magique, que ce qui marche, c’est la psychothérapie.

Florence Moureaux dans un parc.

Florence Moureaux dit avoir appris à vivre avec son diagnostic de cancer grâce à la psychothérapie assistée par psilocybine.

Photo : Radio-Canada / Martin Brunette

À travers sa séance psychédélique, Florence traverse toute une gamme d’émotions : de la plénitude, de l’émerveillement, mais aussi de la tristesse et de l’incertitude. Sa peur de mourir resurgit à plusieurs moments.

Mon corps est si petit, perdu dans l’univers, souffle-t-elle à un moment, les yeux fermés.

Est-ce que ça va? lui demande le Dr Farzin.

Oui. Le fait est que je puisse le regarder et ne pas m’enfuir, répond-elle.

Cette phrase énigmatique résume un des apports les plus importants de son expérience.

Avant la thérapie, la maladie me terrorisait, dit-elle quelques semaines plus tard. Avant la thérapie, j’avais l’impression que tout était fini. […] Puis j’ai réalisé que ça n’a aucun sens. Ça n’a aucun sens.

Vers la fin de sa séance, elle parvient à se réconcilier avec les émotions difficiles qui l’habitent. Je peux aller au-delà de la tristesse, réalise-t-elle.

Au-delà de la tristesse, il y a l’extase, ajoute le Dr Farzin.

Florence acquiesce.

Son diagnostic de cancer n’a pas changé et son travail avec le Dr Farzin n’est pas terminé. Mais les prises de conscience que Florence a faites durant son voyage psychédélique lui ont permis de surmonter son anxiété et de mieux profiter du temps qui lui reste à vivre.

Aujourd’hui, je ne me sens pas victime de la maladie, confie-t-elle. J’ai arrêté de penser que le cancer était l’ennemi à abattre. Il n’y a pas d’ennemis à abattre. Il y a vivre avec.

Un reportage de Bouchra Ouatik et Christine Campestre à ce sujet sera présenté à l’émission Découverte, diffusée le dimanche à 18 h 30 sur ICI Télé et à 22 h sur ICI Explora, et le samedi à 19 h 30 sur ICI RDI.

Illustration d’entête par Sophie Leclerc

Source :Radio Canada

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