
C’est impressionnant, on ne se désensibilise jamais vraiment au fait que c’est des êtres humains, confie le chercheur en neurosciences. Mais c’est remarquable et touchant de voir que des personnes ont voulu faire avancer la science après leur décès en nous faisant ce don précieux.
Dans le couloir central, à première vue, rien de sensationnel. Sur les murs, on remarque seulement quelques illustrations de neurones géants aux couleurs vives.
Tout se passe derrière de grandes portes closes. À droite et au fond se trouvent les laboratoires. À gauche, les exiguës salles de conservation, c’est là que sont conservés jalousement les quelque 3600 échantillons collectés depuis 1980. Seuls quelques privilégiés peuvent y pénétrer.
À notre arrivée, la responsable des opérations du laboratoire, Dominique Mirault, s’affaire à transférer des échantillons. Un bip de carte d’accès retentit à chaque fois qu’elle se présente devant une porte, même si elle vient de quitter la pièce voisine située à moins de trois mètres.
Elle est en train de vider un congélateur qui montre des signes de faiblesse. Elle a peu de temps pour transférer les échantillons conservés à une température de -80 °C.
Pendant ce temps, le codirecteur de la banque et responsable de la conservation des échantillons, Naguib Mechawar, nous explique méthodiquement les opérations de base pour éviter l’altération des tissus cérébraux.
À la réception des cerveaux, les hémisphères sont rapidement séparés et coupés en tranches de 1 à 2 cm d’épaisseur. Un hémisphère est congelé et l’autre est plongé dans du formol.
Un peu comme les bocaux dans des vieux films, dans les labos, sauf que les contenants sont un peu plus modernes
, dit-il, tout en manipulant des tranches de cerveau emprisonnées dans une boîte en plastique, identique à celles que l’on trouve dans votre cuisine.
Ces deux méthodes permettent des approches expérimentales complémentaires. Les échantillons conservés dans le formol sont soumis à un examen histologique, c’est-à-dire une étude au microscope de la structure des tissus.
La congélation rend possibles les études moléculaires, génétiques et épigénétiques.
Les premières étapes de la conservation doivent se faire dans les meilleurs délais à cause de la fragilité des tissus cérébraux. Les échantillons sont ensuite utilisables pour des décennies, poursuit-il, chaque cerveau peut servir pour une centaine de projets de recherche.
Un rayonnement mondial
La banque de cerveaux de Montréal est l’une des plus importantes à l’échelle internationale. Des échantillons sont envoyés aux États-Unis, en Europe, en Asie ou en Australie et des découvertes majeures ont été effectuées grâce à cette contribution.
« Chaque semaine, on reçoit des requêtes de la part de chercheurs qui utilisent nos échantillons pour leurs projets de recherche. »
La richesse du corpus provient de la qualité des tissus recueillis et de la grande diversité de profils. Âge, origine sociale, antécédents médicaux, problèmes de santé mentale ou non. Un large spectre de la population locale est mis à contribution.
En moyenne, deux cerveaux complètent la collection chaque semaine.
L’importance des dons d’organes
Il y a des dons qui sont faits avant les décès, la personne a signé sur sa carte d’assurance maladie
, explique le psychiatre Gustavo Turecki, codirecteur de la banque de cerveaux et responsable de la collecte des échantillons. Souvent des personnes qui participent à des études sur le vieillissement, la maladie d’Alzheimer ou la sclérose latérale amyotrophique.
La banque a aussi un partenariat avec le bureau du coroner et la Commission de l’accès à l’information.
Cette collaboration donne accès à des cerveaux de personnes dont la mort est plus inattendue, comme des accidents et des suicides.
Elle permet d’entrer légalement en contact avec les familles des défunts afin d’obtenir un don. Tout doit se faire très vite, idéalement 24 heures
, raconte Gustavo Turecki. Dans le meilleur des cas, il dispose de maximum 72 heures. Passé ce délai, les tissus sont inutilisables pour la science.
Ces démarches demandent la plus grande délicatesse, puisqu’elles sont effectuées pendant une période de deuil, mais aussi parce qu’elles demandent une contribution importante des proches.
« Il y a eu un changement dans la société. Aujourd’hui, il y a une ouverture plus grande à considérer les dons. »
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p class= »e-p »>Dans les semaines qui suivent, il y a un travail d’enquête pour connaître les antécédents des défunts.
L’objectif étant d’effectuer des autopsies psychologiques à travers des entrevues assez poussées avec des membres de la famille
, explique Naguib Mechawar.
L’accès au tissu cérébral est important, mais il ne sert à rien sans les entrevues
, renchérit Gustavo Turecki.
D’un point de vue scientifique, la collaboration avec le coroner donne accès à une plus grande variété d’échantillons.
Les personnes sont souvent plus jeunes au moment de leur mort. Par ailleurs, c’est en général le seul moyen d’avoir accès à des cerveaux de personnes qui ont mis fin à leurs jours.
Et justement, Naguib Mechawar a fait dernièrement une découverte importante. Il a démontré que les personnes victimes de maltraitance infantile étaient davantage exposées aux risques de suicide.
À très long terme, ces nouvelles données ouvrent la porte à de possibles traitements. Selon le chercheur, elles démontrent avant tout que le cerveau des enfants est fragile et qu’il faut en prendre soin.
Ses travaux donnent ainsi de nouveaux arguments pour les futures campagnes de sensibilisation sur la maltraitance infantile.
D’autres découvertes dans la même veine sont espérées, puisque les chercheurs montréalais associés à la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada se concentrent sur des études autour de la dépression et du suicide.