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Un enfant tient une boîte vide sur sa tête.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Envoyée spéciale
Les Argentins peinent à composer avec la hausse fulgurante du coût de la vie; presque la moitié vivent aujourd’hui sous le seuil de la pauvreté.
Séance de troc.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

L’art de survivre dans une économie sans pitié est un art que les Argentins savent désormais maîtriser. La ville d’Ensenada, à une heure de Buenos Aires, est une des centaines de villes en Argentine où c’est jour de troc, ou de trueque.

Graciella a installé une banderole de couleur et a déplié des tables devant sa petite maison pour la quarantaine de femmes qui se sont inscrites à l’échange.

Il y a de tout, des vêtements usagés, de vieilles casseroles et des denrées. Ces trueque sont indispensables pour contrer le coût de la vie, dit Graciela, c’est l’hécatombe, ce qui nous arrive.

Argent de papier.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

L’argent est interdit lors du troc. Les organisateurs ont inventé et imprimé leur propre devise pour établir la valeur des biens échangés.

Une bouteille d’huile coûte 1000 pesos en supermarché aujourd’hui, alors qu’ici nous avons établi le prix a 500, explique Graciela.

C’est de la survie, ajoute Andrea, qui a apporté des articles de cuisine qu’elle espère échanger pour de l’huile et du sucre, car elle n’a plus les moyens d’en acheter au magasin.

Travailler ne suffit plus, dit-elle. Les salaires ne suivent pas la courbe de l’inflation galopante, qui a franchi le cap symbolique de 100 % en avril.

Andrea profite du troc pour faire ses achats.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Andrea est pourtant infirmière en soins palliatifs pour des particuliers. Elle dit qu’elle vivait bien il y a deux ans en dépit de l’inflation chronique qui s’abat sur l’économie de l’Argentine depuis des décennies.

Mais depuis l’an dernier, c’est ingérable et ses patients n’ont plus les moyens de se payer ses services.

La plupart n’offrent que 350 pesos de l’heure, dit-elle, l’équivalent d’un café. C’est un cercle vicieux et on est tous comme dans une piscine en train de se noyer, on essaie de garder la tête hors de l’eau.

Achat d'un sac de sucre.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Aller à l’épicerie est devenu un périple de plus en plus angoissant pour la plupart des familles en Argentine.

Il m’arrive de faire cinq ou six commerces pour trouver des aliments de base à bon prix, dit Claudia, un sac de sucre à la main.

Les Argentins n’ont plus de repères quant à la valeur des biens, puisque les prix changent constamment et sans préavis.

Une caissière tient une liste de clients qui ont fait des achats.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Les prix augmentent en moyenne tous les quinze jours, explique la gérante du supermarché, à quelques rues du troc. Et tous mes clients sont contraints de faire des choix déchirants.

Valeria sort de sous la caisse un cahier où elle note les dettes des résidents du quartier à qui elle offre du crédit. J’ai souvent dépanné des familles, mais cette année, c’est presque tous les jours, du jamais-vu.

C’est pire qu’en 2001, où l’Argentine avait déclaré faillite. Les gens n’ont pas d’argent, dit Jorge, un client.

Le prix affiché sur une porte.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Pour contrer l’inflation, le gouvernement argentin a gelé les prix de 1700 produits de première nécessité.

Les precios justos, ou prix justes, s’appliquent à des produits de base dans les grandes chaînes d’alimentation.

La liste change tous les trois mois et cela sème la confusion chez les consommateurs. La mesure est une des nombreuses politiques du gouvernement, qui peine à soulager la douleur des Argentins et à protéger leur pouvoir d’achat.

Grillades parrilla.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Le bœuf, qui fait pourtant la fierté du peuple argentin, est désormais un luxe que les familles n’ont pas les moyens de s’offrir. Le prix du kilogramme a augmenté de 30 % depuis le mois de janvier seulement.

Les prix exorbitants ont contraint la population à se tourner vers le poulet ou la saucisse.

Je ne connais personne qui a les moyens d’en acheter, dit Claudia. Nous gardons la « parrilla » pour les grandes occasions comme les anniversaires ou les mariages.

Une maison en construction.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Juste en face du supermarché, il y a une maison inachevée qui a l’air abandonnée, mais les vêtements qui pendent sur la corde à linge nous amènent à rencontrer la famille qui occupe les lieux.

Les propriétaires ont commencé à la construire il y a deux ans, mais ils n’ont plus les moyens de la finir.

La famille vit à sept dans une petite annexe délabrée alors que l’hiver approche en Argentine.

Une mère devant sa maison temporaire.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Mon mari a perdu son travail juste avant que nous installions le toit, dit Rosa. L’aide sociale suffit à peine pour nourrir les enfants et il leur arrive de sauter des repas.

Car il n’y pas que la nourriture qui subit les foudres de l’inflation historique; comme partout, le prix de l’énergie à la suite de l’invasion de l’Ukraine s’ajoute à la tempête économique.

Une enfant dans l'entrée de sa maison.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Aujourd’hui, 42 % des Argentins vivent sous le seuil de la pauvreté, selon le dernier recensement du gouvernement.

À six mois des élections présidentielles, l’inflation et la pauvreté sont devenues des enjeux déterminants et la rue ne décolère pas.

Tous les week-ends, des milliers d’Argentins sortent manifester pour exiger des hausses de salaire.

Une transaction en pesos.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Bien que l’inflation soit un problème chronique en Argentine, elle a franchi ce printemps la barre symbolique et désolante des 100 %, l’un des taux les plus élevés du monde.

Comment l’Argentine a-t-elle pu en arriver là?

Les causes sont aussi complexes que multiples, y compris des politiques laxistes des gouvernements successifs qui dépensent au-dessus de leurs moyens et impriment de l’argent pour financer les services.

Un changeur dans la rue.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Le dollar américain est devenu la devise refuge des Argentins, au détriment du peso, dont la valeur ne cesse de dégringoler.

Le centre-ville de Buenos Aires est rempli de changeurs clandestins qui défient le taux de change établi par le gouvernement.

Artistes de la rue.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Ester, Adrian et Molina ont uni leurs talents pour mettre du pain sur la table.

Ils sont tous professeurs de musique et de danse et n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, encore moins dans la rue, mais ils n’ont plus d’autre choix.

Le samedi et le dimanche, ils font la tournée du quartier San Telmo pour passer le chapeau.

Des artistes pratiquent toujours leur art malgré les temps difficiles.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Adrian vit dans la banlieue pauvre de Buenos Aires et affirme que six enfants sur dix y vivent dans la misère aujourd’hui.

Le problème n’est pas que l’inflation, c’est aussi l’insécurité qu’elle provoque, le crime et la délinquance augmentent au même rythme.

Il offre régulièrement des cours de guitare gratuits dans les quartiers défavorisés de Buenos Aires parce qu’il n’y a que nous qui pouvons nous entraider. Notre art nous sauve, dit Adrian, qui doute que le prochain gouvernement puisse alléger le fardeau économique des Argentins.

Des Argentins font du troc pour survivre dans le contexte économique difficile.

Radio-Canada / Tamara Altéresco/Alexey Sergeyev

Il faudra un plan de redressement draconien pour sortir l’Argentine de cette crise économique qui menace de plus en plus l’ordre social, explique l’économiste Yoaquin Waldman.

Mais les Argentins ont développé des mécanismes de survie, explique l’économiste, c’est un mode vie permanent.

Une robe pour du sucre, un pantalon pour de la farine. Les femmes d’Ensenada quittent le trueque au coucher du soleil avec ce qu’il leur faut pour passer la semaine. La tête haute, résolues, mais pas vaincues… pas encore.

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