
La réforme de l’aide financière internationale a été au cœur du tout premier sommet de l’Afrique sur le climat, qui s’est achevé cette semaine à Nairobi, au Kenya, et qui devrait occuper le haut de l’affiche au sommet du G20 qui se déroule cette fin de semaine en Inde.
L’idée est simple : les pays industrialisés sont en très grande partie responsables des bouleversements climatiques actuels, puisqu’ils se sont développés grâce aux énergies fossiles à partir du 19e siècle. Mais ce sont les pays en développement qui en subissent les plus grands effets.
Dans plusieurs de ces pays, les aléas climatiques gobent parfois jusqu’au tiers des budgets nationaux. Autant d’argent qui ne va pas au service de l’éducation, des soins de santé ou de la lutte contre la pauvreté.
Un rapport du Fonds monétaire international (FMI) publié à la fin du mois d’août met en lumière une donnée très intéressante : quand une catastrophe climatique frappe les pays les plus fragiles, elle provoque en moyenne des pertes économiques cumulées qui équivalent à 4 % de leur produit intérieur brut (PIB). Dans les pays du Nord, c’est à peine 1 % du PIB en moyenne.
Les experts du FMI en concluent que dans les pays les plus vulnérables, qui sont moins bien équipés pour faire face aux effets délétères du climat, les dommages provoqués par les catastrophes climatiques ont donc des effets plus importants que dans les pays riches.
Très souvent, la sécurité alimentaire est rapidement fragilisée, les conflits locaux empêchent une action organisée et la grande pauvreté des systèmes de prévisions météorologiques rend très difficile l’action en amont.
Revoir l’aide financière
Face à cette réalité, les pays riches sont donc sous pression pour offrir aux pays les plus vulnérables une aide financière mieux articulée, afin que ceux-ci puissent développer des solutions pour lutter contre les changements climatiques et mieux s’adapter aux conséquences irréversibles que le climat impose.

Lorsqu’ils font face à une catastrophe climatique de même envergure, les pays vulnérables ressentent plus d’effets que les pays riches. Sur la photo : des inondations en Afrique de l’Ouest.
Photo : Reuters / DESIRE DANGA ESSIGUE
Les pays du Sud ne veulent plus être perçus uniquement comme des mendiants qui ne font que demander de l’argent. Ils veulent faire partie de la solution.
Comme l’a exprimé le président du Kenya, William Ruto, à la clôture du sommet de l’Afrique sur le climat mercredi, ces pays veulent devenir des acteurs centraux de la transition énergétique mondiale.
La déclaration commune qu’ont signée les représentants des 54 pays africains au terme du sommet va en ce sens : elle rappelle que malgré le fait que le continent possède une bonne partie des ressources renouvelables mondiales pour produire de l’énergie propre, il attire à peine un pour cent des investissements internationaux en la matière.
Comment ces pays peuvent-ils développer leurs ressources vertes tout en en tirant les bénéfices, sans devoir tout léguer aux multinationales étrangères et aux grandes institutions financières internationales?
Les pays du Sud proposent une réponse : il faut enclencher une réforme des structures du système financier mondial.
Réformer les mécanismes de la finance
La structure de l’aide financière internationale telle qu’on la connaît aujourd’hui, avec en tête d’affiche la Banque mondiale et le FMI, a été créée il y a près de 80 ans, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, par les accords de Bretton Woods (1944). Elle n’a pas été adaptée à la nouvelle réalité climatique.
Fragilisés par des catastrophes climatiques à répétition, les pays vulnérables n’arrivent plus à sortir la tête de l’eau. La spirale de l’endettement s’emballe à mesure que les infrastructures sont détruites et que les niveaux de pauvreté et d’insécurité alimentaire augmentent. Pour plusieurs de ces pays, les modalités de l’aide internationale ne répondent tout simplement plus aux besoins.
C’est pour tenter de trouver des réponses à ce problème que le président français, Emmanuel Macron, a organisé cet été à Paris le sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui a jeté les bases d’une discussion à approfondir.

Le président français, Emmanuel Macron (centre), a organisé en juin à Paris un sommet pour la création d’un nouveau pacte financier mondial.
Photo : Reuters
Soutenu par ses homologues africains, le président du Kenya réclame de son côté carrément un changement de paradigme : l’invention d’un nouveau système financier avec des idées qu’on n’aurait jamais cru possibles il y a à peine deux décennies.
Les partisans d’une refonte du système financier mondial proposent plusieurs solutions pour le moderniser, dont voici quelques exemples :
– Réduire ou carrément éliminer les prêts ou les investissements pour les projets de développement des énergies fossiles, souvent très rentables, mais qui font partie du problème.
– Alléger la dette des pays en incluant des clauses dans les contrats de prêts bilatéraux qui prévoient une suspension des remboursements en cas de catastrophe climatique. Le Royaume-Uni a déjà intégré cette mesure.
– Alléger la dette des pays qui mettent en place des mesures qui sont bénéfiques pour le climat mondial, comme la protection des forêts tropicales ou des zones marines.
– Introduire une taxe mondiale sur les émissions de gaz à effet de serre (GES), qui pourrait inclure, par exemple, une taxe sur le commerce des énergies fossiles ou une taxe sur les voyages en avion. C’est une idée soutenue par le groupe des 54 pays africains, selon lesquels les revenus de cette taxe pourraient permettre de fournir du financement pour des projets qui visent à protéger le climat ou à s’y adapter, et ce sans subir l’influence d’intérêts géopolitiques indésirables.
– Décentraliser le processus décisionnel des projets à financer, afin que les populations locales soient davantage impliquées dans le processus.
Un Sud plus fort et plus uni
Ces idées, bien qu’elles soient encore loin d’être concrétisées, font leur petit bonhomme de chemin dans les grands forums internationaux où la question climatique est au menu.
Et si elles sont de plus en plus entendues, c’est parce qu’elles sont portées par un groupe de pays de plus en plus soudé, qui impose sa voix dans les grandes rencontres internationales.

Le sommet du G20 a lieu cette fin de semaine à New Delhi, en Inde.
Photo : Reuters / ANUSHREE FADNAVIS
On peut facilement parier que le thème de la réforme de la finance internationale sera au sommet du menu des nombreux sommets à venir : au G20 cette fin de semaine en Inde, au sommet de l’ambition climatique et à l’Assemblée générale des Nations unies à la fin de septembre, aux réunions annuelles de la Banque mondiale et du FMI en octobre au Maroc, et bien entendu, à la prochaine conférence de l’ONU sur les changements climatiques, la COP28, à Dubaï, à la fin de novembre.
Portés par une cause commune qui est devenue existentielle à bien des égards, les pays du Sud sont devenus une force incontournable dans le grand ballet international que sont les négociations sur le climat.
Bien que des pays comme l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie, les Philippines, le Brésil ou les 54 pays africains aient des orientations politiquement assez diverses, l’union de ces nations impose aux grands émetteurs du Nord une autre vision de la gouvernance du système financier international, dominée par les pays occidentaux depuis près d’un siècle.
Elle renforce aussi cette idée que développement et climat sont deux enjeux qu’on ne peut plus séparer.
Il sera désormais difficile d’ignorer les demandes de ces pays.