Analyse | Le masochisme des républicains

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Après sa destitution historique comme président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy a fait cette sobre et néanmoins juste analyse de la situation : « Je crains que l’institution ne soit tombée aujourd’hui parce qu’on ne peut pas exercer ses fonctions même si on a 94 ou 96 % d’appuis mais que huit personnes peuvent s’associer avec l’ensemble de l’autre camp. Comment gouverner? »

Bref, comment légiférer dans un environnement où le chef est devenu l’otage de la faction la plus intransigeante de son propre parti? M. McCarthy semble avoir oublié qu’il a été l’architecte de sa propre chute. Pour obtenir le soutien des républicains élus afin de devenir le numéro 1 de la sacro-sainte Chambre des représentants, il s’est abaissé à leur offrir en garantie le bouton de son siège devenu éjectable.

Kevin McCarthy a beau dire qu’il pensait que le motif de Matt Gaetz, l’élu républicain de la frange d’extrême droite qui a mené la fronde contre lui, était d’attirer l’attention des médias, il n’en demeure pas moins qu’il devait savoir que cela devait arriver. Ne peut-on pas appeler cela du masochisme?

Kevin McCarthy.

Kevin McCarthy a été l’architecte de sa propre défaite comme président de la Chambre des représentants. (Photo d’archives)

Photo : Getty Images / Alex Wong

Devant l’impossibilité d’obtempérer plus d’une fois aux visées ultraconservatrices d’une grosse poignée d’élus rebelles du parti, les jours de McCarthy étaient comptés depuis le début. Il aura fallu 15 tours de scrutin à la Chambre pour qu’il soit finalement choisi par ces faiseurs de rois, mais il n’aura fallu qu’un seul vote pour que huit d’entre eux le déboulonnent du socle de son piédestal.

Une bataille de chefs vouée à l’échec?

Depuis mardi, donc, la Chambre n’a plus de président élu par ses pairs, et la semaine prochaine, les républicains devront choisir plus que probablement entre Jim Jordan – le poulain de Trump –, du Freedom Caucus (la frange qui a fait tomber McCarthy), et Steve Scalise, chef de la majorité à la Chambre. Un choix cornélien entre un intransigeant ultraconservateur qui veut destituer Joe Biden et un conservateur pur et dur qui veut convaincre les centristes qu’il est le bon choix.

La bataille se fera donc dans un contexte de malaise politique et de colère contre l’aile extrémiste qui a évincé Kevin McCarthy lors du vote sans précédent de cette semaine. Et même si les républicains s’entendent sur un choix, il faudra alors qu’il soit soumis au vote des 435 élus de la Chambre. Les démocrates rejetteront évidemment ce choix, quel qu’il soit; il faudra que le seuil de 218 voix soit franchi. À cette heure, impossible de dire si l’ensemble des républicains seront tous derrière l’un des deux hommes et, surtout, à quel prix et à quelles concessions à la McCarthy ils sont prêts à consentir pour y arriver. Cela signifie que la Chambre pourrait être le théâtre d’une course prolongée, comme en janvier dernier.

Jim Jordan.

Jim Jordan est le favori de Donald Trump dans la course à la présidence de la Chambre des représentants. (Photo d’archives)

Photo : Getty Images / Win McNamee

Bref, les républicains n’ont qu’un seul groupe à blâmer : eux-mêmes. Car ils ont choisi Kevin McCarthy, qui a lui-même fait le choix de sa propre épée de Damoclès. Ce qui est étrange, c’est que les dissidents républicains n’ont pas vraiment de solutions de rechange plausibles à la présidence, une attitude nihiliste qui a fait plonger Donald Trump tête la première dans ce décor.

Trump dans la mêlée

Un peu comme un éléphant dans le magasin de la fragile porcelaine républicaine, il est arrivé, laissant même planer le spectre qu’il devienne temporairement le président de la Chambre, le temps que son parti en trouve un de façon plus ou moins permanente. Pour la petite histoire, le président de la Chambre n’a pas besoin d’être un élu de l’hémicycle. Mais imaginez les débats avec Trump dans l’arène. Certains murmurent que l’ex-président aurait songé à cette option, histoire de trouver des échappatoires et des délais potentiels aux procédures judiciaires entamées contre lui.

On a beau dire que la santé, l’âge et la fragilité de Joe Biden sont effectivement le talon d’Achille des démocrates, ce serait oublier que les républicains ont aussi leur faiblesse en la personne de Trump, que leurs propres membres semblent vouloir choisir comme candidat présidentiel pour 2024.

L’ex-président fait face à de multiples procès dont l’issue de certains risque de se solder par des sentences sévères et de lourdes peines. Les républicains, selon les sondages, peuvent bien penser que l’ancien locataire de la Maison-Blanche est leur meilleure carte à jouer pour 2024, ils semblent avoir déjà oublié que ce même candidat leur a fait perdre le contrôle de la Chambre en 2018 et la présidentielle de 2020, qu’il n’a pas réussi à remporter la majorité au Sénat et qu’il n’a obtenu qu’une très faible majorité à la Chambre lors des élections de mi-mandat de 2022. La chute de McCarthy cette semaine est d’ailleurs la résultante de cette faiblesse électorale.

Sur une mauvaise trajectoire politique

Malgré tout, les républicains lui font encore confiance, même si, ces derniers jours, Donald Trump a durci le ton avec sa rhétorique revancharde aux relents de violence. Cette semaine, il a demandé l’exécution d’un des plus hauts généraux du pays, menacé des procureurs, tourné en dérision l’attaque au marteau dont a été victime le mari de Nancy Pelosi, menacé d’enquêter sur NBC News pour trahison s’il revenait au pouvoir et appelé à abattre les voleurs à l’étalage en Californie.

Donald Trump s'adresse aux médias lors de son procès civil pour fraude à New York.

Donald Trump, dont le procès civil pour fraudes sur la valeur de ses actifs immobiliers a commencé cette semaine, a fait monter d’un cran ses violentes attaques tous azimuts. (Photo d’archives)

Photo : afp via getty images / KENA BETANCUR

Bref, rien de reluisant pour convaincre les électeurs non républicains – dont Trump a pourtant bien besoin pour revenir en poste. Mais le parti ferme encore les yeux ou se bouche les oreilles.

Le dysfonctionnement du parti depuis 2016 n’aura pas d’impact tant que celui-ci n’apprendra pas aux républicains que leur seule chance d’influencer la politique consiste à rester unis et à oublier les positions extrêmes (parfois fomentées par Donald Trump, Jim Jordan et ses semblables) qui font tant peur aux électeurs du centre politique.

Or, à en juger par ce qui s’est passé jusqu’à présent, les républicains sont le groupe qui n’a pas su en tirer parti. Tout ce qu’ils font, c’est de se tirer dans le pied, quand ils ne se tirent pas les uns sur les autres, politiquement parlant. Ne peut-on pas appeler cela du masochisme?

À lire et à écouter :

Source :Radio Canada

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