Analyse | Inondations : le virage payant des Néerlandais

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Ce projet d’adaptation aux inondations a donné naissance au plus grand réseau de protection du monde, avec plus de 20 000 kilomètres de digues et de barrages construits au fil des ans.

Mais ce n’était pas assez. En 1995, d’importantes inondations ont de nouveau forcé le changement. Un quart de millions de personnes ont été évacuées, soit près de 2 % de la population totale du pays.

Les images de ces 250 000 sinistrés en mouvement ont convaincu les décideurs d’une chose : à long terme, l’idée d’essayer d’empêcher l’eau d’entrer sur le territoire avec des barrières était vouée à l’échec. Et petit à petit, les connaissances de plus en plus raffinées sur les effets des changements climatiques ont changé la donne.

Avec la montée constante du niveau des océans et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité du régime des précipitations, les Néerlandais ont donc amorcé un virage à 180 degrés dans leur approche.

Pour minimiser les conséquences des inondations sur la population, ils ont décidé de ne plus se battre contre l’eau, mais au contraire, de redonner aux cours d’eau des espaces de liberté.

C’est le grand projet baptisé Room for the River.

Des plaines et un cours d'eau.

Une rivière néerlandaise qui retrouve ses droits.

Photo : Rijkswaterstaat

Rendre à l’eau son espace de liberté

L’idée est la suivante : il s’agit de donner aux rivières et aux fleuves la place dont ils ont besoin pour déborder, pour que les cours d’eau puissent retrouver le territoire que la nature leur accordait avant les aménagements faits par les humains, le tout dans des zones vidées de leurs habitants.

Ainsi, quand elles surviennent, les inondations ne touchent personne, ou si peu.

Dès 1995, les Néerlandais ont commencé par identifier les territoires inondables, parfois habités, qui devaient être réaménagés. L’immense travail effectué par des hydrologues, des ingénieurs, des géologues et des experts de l’aménagement du territoire a permis de cibler 34 sites au total, où étaient prévus des changements parfois titanesques, parfois plus légers.

Chaque site a été choisi selon des critères qui visaient à maximiser le potentiel d’espace de liberté pour l’eau et à minimiser les effets du réaménagement du territoire sur la population.

Les 34 projets ont tous été réalisés selon le même modèle : déménager la population, remettre la nature à son état d’origine, permettre à l’eau de retrouver un espace de liberté et créer dans ces territoires des espaces récréatifs où l’environnement est remis en valeur et dont peuvent profiter les citoyens.

Quatre-vingt-dix pour cent des sites sont ainsi devenus des espaces où l’on peut s’adonner au sport et au plein air quand la zone n’est pas inondée, ce qui veut dire à peu près tout le temps. Que ce soit des pistes cyclables, des sentiers de randonnée, des terrains de soccer ou des bassins pour le kayak ou l’aviron, ces 34 nouveaux espaces sont autant de nouveaux parcs sur le territoire.

Le projet Room for the River a coûté à l’État néerlandais environ 5 milliards de dollars. Ce modèle de gestion des inondations mis en place par les Néerlandais fait tache d’huile et est exporté dans plusieurs villes et pays un peu partout sur la planète, autant au Bangladesh qu’à La Nouvelle-Orléans, Houston ou New York.

Le succès de ce modèle repose essentiellement sur trois facteurs cruciaux :

  1. L’adhésion de la population au projet, malgré les délocalisations;
  2. Une expertise scientifique solide;
  3. Un budget sécurisé dans une loi, pour éviter que le projet ne soit abandonné au gré des gouvernements qui passent.
Des vaches en pâturage devant un bâtiment.

Une ferme laitière qui a été construite à neuf sur la digue.

Photo : Henri Cormont

Confiance de la population et budget sécurisé

Évidemment, le déplacement des populations qui habitaient dans les zones visées a suscité la controverse.

Le travail a été laborieux, et long. Pendant des mois, les responsables de l’État néerlandais ont sillonné le territoire, de village en village, d’un sous-sol d’église à l’autre, pour convaincre les citoyens des bienfaits des changements prévus, et donc des déménagements forcés.

Dans la vaste majorité des cas, on a offert aux riverains de leur reconstruire une maison neuve, de meilleure qualité, pas très loin de la zone initiale, la plupart du temps en hauteur, sur une digue. L’idée de base était de préserver le plus possible le tissu social des quartiers délocalisés.

Dans certains cas, le gouvernement a reconstruit des fermes au complet pour réinstaller des agriculteurs. Ils vivent maintenant à quelques centaines de mètres de leur ancienne entreprise, en hauteur, avec à la clé une ferme neuve et moderne, à l’architecture soignée. Quand la zone sacrifiée n’est pas inondée, ce qui veut dire que, la plupart du temps, les vaches broutent dans la même plaine qu’avant, en bas de la digue.

Sur les 34 sites qui ont été sélectionnés, certains ont subi des changements majeurs, et d’autres plus modestes.

<

p class= »e-p »>À Nimègue, par exemple, une ville historique de 179 000 habitants fondée il y a 2000 ans sur les rives du Rhin, située à 130 kilomètres au sud-est d’Amsterdam, on a carrément créé un nouveau bras du fleuve dans les terres en face de la ville, pour que l’eau puisse s’y déverser. Ce qui était l’ancienne rive est aujourd’hui devenu une presqu’île au milieu de la rivière, accessible à pied ou à vélo, et où on peut casser la croûte. On y a même réintroduit une variété de vaches écossaises qui était présente aux Pays-Bas jusqu’au milieu du siècle dernier.

Confiance de la population et budget sécurisé

Pour arriver à ses fins, le plan Room for the River se devait de recueillir l’adhésion des citoyens. C’est à ce titre que le projet a été le plus finement mené, m’avait dit Erik Mosselman, ingénieur à l’Institut néerlandais de recherche Deltares, lors de mon passage dans ce pays en 2018 pour un reportage sur le sujet.

Dans leur tournée pour expliquer le projet, les responsables des autorités néerlandaises ont entendu de nombreux citoyens exprimer leur crainte quant à la possibilité que le projet soit abandonné par un prochain gouvernement après que des déménagements de la population auront déjà été effectués.

Pour éviter ces incertitudes, les Pays-Bas ont pris soin de sécuriser le budget de Room for the River dans une loi, pour éviter que des gouvernements suivants mettent le plan au rancart pour des fins politiques.

Cette mesure s’est avérée un argument de taille pour prouver aux citoyens que les réaménagements du territoire proposés étaient un projet d’adaptation nécessaire et ancré à long terme.

S’appuyant sur une expertise solide et sur des données probantes, avec un bon budget à la clé, les autorités ont donc réussi à gagner la confiance du public.

Investir pour prévenir

La naissance du projet Room for the River ne s’est tout de même pas déroulée dans une harmonie totale. De vifs débats ont eu lieu au Parlement, notamment sur la question budgétaire et sur la question des déménagements. Mais ces débats ont fait naître un consensus au sein de la classe politique aux Pays-Bas sur le fait d’investir dans l’adaptation face aux inondations. Environ le tiers du territoire néerlandais est situé sous le niveau de la mer, une situation qui va empirer avec le temps.

Investir maintenant pour prévenir de plus grands coûts et des malheurs humains dans l’avenir, c’est le choix qu’ont fait les autorités néerlandaises. Il aura fallu une grande catastrophe en 1995 pour les convaincre que le fait de dépenser cet argent maintenant allait leur permettre d’épargner de plus grandes sommes dans l’avenir.

C’est un choix difficile qui demande que les décisions qui sont prises transcendent les cycles politiques, qui sont trop courts en regard de l’ampleur des projets nécessaires.

Cette difficulté s’est posée aux Pays-Bas, et elle se pose au Québec, comme partout ailleurs. Si les Néerlandais ont réussi à mener à bien leur projet, c’est parce que les décideurs ont fait preuve d’une grande volonté politique.

C’est un choix qui demande de l’audace, car toute bonne politique de gestion des inondations a un côté un peu pervers pour les élus.

Quand elle est efficace et bien appliquée, personne ne souffre des crues… et personne n’en parle.

Pour les politiciens, il est alors très difficile d’en tirer des bénéfices électoraux, même après avoir dépensé tous ces milliards.

Les rapports scientifiques nous prescrivent pourtant qu’il faudra quand même le faire pour éviter des dépenses encore plus grandes dans l’avenir.

En économie, c’est ce qu’on appelle un investissement.

Source :Radio Canada

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