
Est-ce qu’un obscur article du 14e amendement de la Constitution américaine pourrait empêcher l’ancien président Trump de se présenter à la présidentielle de 2024?
La proposition fait le tour des médias grâce à des experts en droit et analystes de tout poil qui y vont de toutes sortes de théories depuis quelques semaines, à propos de la section trois du 14e amendement, qui va comme suit :
Nul ne sera sénateur ou représentant au Congrès, ni électeur du président et du vice-président, ni n’occupera un poste civil ou militaire aux États-Unis ou dans un État, si, après avoir prêté serment, en tant que membre du Congrès ou fonctionnaire des États-Unis, ou en tant que membre d’une législature d’État, ou en tant que fonctionnaire exécutif ou judiciaire d’un État, de soutenir la Constitution des États-Unis, il s’est engagé dans une insurrection ou une rébellion contre celle-ci, ou s’il a apporté aide ou réconfort à ses ennemis. Mais le Congrès peut, par un vote des deux tiers de chaque Chambre, lever cette incapacité.

Le quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis
Photo : Getty Images / Hulton Archive
En gros, cette clause stipule que toute personne qui s’est engagée dans une insurrection ou une rébellion
après avoir prêté serment de défendre la Constitution n’a pas le droit d’occuper une fonction publique.
Le seul moyen de contourner la déchéance de l’éligibilité serait que le Congrès accorde l’amnistie par un vote des deux tiers dans chaque chambre. Autant dire, jamais dans le contexte actuel de division politique.
Des appuis légaux pour la procédure
Pour certains juristes conservateurs comme William Baude et Michael Stokes Paulsen, deux professeurs de droit, qui ont rédigé un article qui devrait être publié l’année prochaine dans la revue University of Pennsylvania Law, cela s’appliquerait donc à Donald Trump puisqu’il a fait pression sur Mike Pence, alors vice-président, afin d’empêcher le décompte des votes électoraux, et qu’il a livré un discours incendiaire
encourageant ses partisans à marcher vers le Capitole le 6 janvier 2021.

J. Michael Luttig, ancien juge de la Cour d’appel des États-Unis pour le quatrième circuit, fait partie des juristes qui estiment qu’il y a matière à disqualifier Donald Trump
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J. Michael Luttig, ancien juge fédéral conservateur, et Laurence Tribe, professeur de droit constitutionnel libéral, en ont rajouté, parlant d’une clause assez vaste qui englobe un large éventail de comportements délibérément participatifs pour qualifier le fait de s’être engagé
dans une insurrection ou une rébellion. Par conséquent, la disqualification de Trump dans cette affaire est auto-exécutoire
et qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait une condamnation pénale liée à l’insurrection – pour être déclenchée.
Quelle procédure?
Il y aurait deux voies envisageables pour ceux qui souhaitent que Trump devienne inéligible : soit, tout d’abord, en consultant les autorités électorales des États, telles que les secrétaires d’État, pour qu’ils le déclarent exclu des bulletins de vote. L’ancien président pourrait alors contester cette décision devant les tribunaux.
Soit, par ailleurs, en déposant des plaintes ou des poursuites judiciaires devant des commissions électorales.
Jusqu’à maintenant, le groupe de défense juridique Free Speech for People a envoyé des lettres aux secrétaires d’État et aux responsables des élections de neuf États, leur demandant d’exclure Donald Trump du scrutin. L’implication de M. Trump dans l’attaque violente du Congrès visant à empêcher la certification des résultats d’élections démocratiques le rend inapte à exercer toute fonction publique à l’avenir
, ont écrit ses membres.
Par ailleurs, le groupe non partisan Citizens for Responsibility and Ethics in Washington (CREW) a déposé une plainte mercredi devant un tribunal de l’État du Colorado au nom de six électeurs républicains et non affiliés, y compris d’anciens fonctionnaires de l’État, fédéraux et locaux, a-t-il indiqué dans un communiqué. L’argumentaire est le même : les actions de Donald Trump le 6 janvier 2021 le rendent inapte à exercer ses fonctions.
Une poignée d’États attentifs
Pour l’instant, cela semble bouger dans l’État du New Hampshire puisque le secrétaire d’État républicain David Scanlan a demandé au procureur général de l’État d’examiner la question et son applicabilité potentielle aux prochaines élections présidentielles.
Mais aussi dans l’État du Michigan, où la secrétaire d’État démocrate Jocelyn Benson a récemment déclaré que des arguments juridiques valables sont avancés
pour écarter l’ancien président du scrutin et qu’elle en discute avec les responsables électoraux d’autres États.

Jocelyn Benson, secrétaire d’État du Michigan, se dit attentive à l’éligibilité de Donald Trump, selon la Constitution américaine
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Le 28 août dernier, Robert Davis, connu au Michigan comme un militant qui poursuit régulièrement des politiciens de l’État, a déposé une demande de décision déclaratoire invitant la secrétaire d’État Benson à déclarer que M. Trump n’a pas le droit de se présenter aux élections dans un délai de 14 jours.
Si la secrétaire d’État rejette sa demande ou ne prend pas de décision dans le délai de deux semaines, il intentera une action en justice officielle, a-t-il déclaré à ABC News.
Et puis, il y a aussi l’Arizona, où son homologue, le démocrate Adrian Fontes a déclaré qu’il n’avait pas le pouvoir d’exclure M. Trump du scrutin, mais que la question de l’éligibilité de celui-ci n’était pas réglée
.
Donc, c’est réglé? Pas si vite!
D’abord, il faut remettre cet article en perspective, puisque le 14e amendement a été ratifié en 1868, après la guerre civile, et visait à empêcher les États du Sud d’élire d’anciens officiers confédérés au Congrès et de renverser le gouvernement contre lequel ils s’étaient rebellés. À l’époque, il était facile de démontrer leur insurrection et rébellion.
Par ailleurs, même si certains conservateurs dans les États républicains souhaitent que Trump ne se présente pas, il est extrêmement improbable que les secrétaires d’États rouges
enlèvent son nom des bulletins de vote d’une primaire ou d’une élection.
Et dans le cas des États bleus démocrates qui décideraient de l’exclure, cela pourrait conduire à de vastes débats sur la constitutionnalité de leur geste. Bref, casse-tête et crises en vue.
Bref, même avec des plaintes et poursuites, il y a fort à parier que la question ne soit réglée de façon définitive avant l’élection présidentielle de novembre 2024.

Le 14e amendement de la Constitution des États-Unis donne libre cours à l’interprétation.
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D’ailleurs, le conservateur Wall Street Journal tempère les ardeurs de ceux qui voient dans ce quatorzième amendement une façon de se débarrasser facilement de Donald Trump. Le comportement de Trump était répréhensible, comme nous l’avons noté à l’époque et comme nous l’avons fait depuis. Mais on est loin de dire qu’il s’agissait d’une insurrection ou d’une rébellion au sens statutaire ou constitutionnel de ces termes
, peut-on lire dans les colonnes du journal.
Et les éditeurs ajoutent que le fait que Donald Trump n’a pas été inculpé d’insurrection au titre de l’article 2383 du 18 U.S.C., le code pénal américain, est certainement pertinent. Quelqu’un pense-t-il que le procureur spécial Jack Smith se serait abstenu d’inculper Trump de ce crime s’il pensait pouvoir le prouver devant un tribunal? Au lieu de cela, il l’a inculpé un complot visant à renverser l’élection, mais il ne s’agit pas d’une rébellion
, conclut le journal, qui met en garde contre une utilisation abusive de cet article contre d’autres politiciens.
Et Trump, dans tout ça?
Lundi, l’ex-président républicain a écrit ceci sur Truth Social, sa plateforme de médias sociaux :
Presque tous les juristes ont exprimé leur opinion sur le fait que le 14e amendement n’a pas de base juridique ou de statut par rapport à l’élection présidentielle de 2024
.
Une déclaration qui ne fait pas la dentelle comme il nous y a habitués, l’ex-président ajoutant du même souffle que Comme l’interférence électorale, il s’agit simplement d’une autre
astuceutilisée par les communistes, marxistes et fascistes de la gauche radicale pour voler à nouveau une élection que leur candidat, le PIRE, le PLUS INCOMPÉTENT et le PLUS CORROMPU des présidents de l’histoire des États-Unis, est incapable de remporter dans le cadre d’une élection libre et équitable.
Des précédents?
Un petit nombre d’agents de la fonction publique ont été jugés et interdits d’exercer leurs fonctions en vertu du 14e amendement.
Par exemple, en 2022, un juge du Nouveau-Mexique a décidé qu’un commissaire du comté d’Otero était disqualifié et démis de ses fonctions parce qu’il avait participé à l’insurrection. C’était la première fois en plus d’un siècle qu’un responsable officiel tombait sous l’interdiction constitutionnelle concernant ceux qui ont participé à une rébellion.

Marjorie Taylor Greene, élue républicaine de la Georgie a fait l’objet d’une contestation de son éligibilité.
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L’année dernière, on a recensé des tentatives pour disqualifier les représentants républicains Marjorie Taylor Greene et Madison Cawthorn, Sans succès pour Mme Taylor Greene. Quant à M. Cawthorn, une Cour d’appel n’a pas déterminé s’il s’était engagé dans une insurrection ou une rébellion ou s’il est autrement qualifié pour siéger au Congrès. Cela est resté sans suite, puisque le représentant a perdu lors de la primaire républicaine.
Par ailleurs, aucun président américain n’a, à ce jour, été disqualifié.